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peut-être, les timbres aussi, mais j’espère bien que je réussirai à vous faire sentir chaque fois que mon affection pour vous ne diminue en rien, et que toutes les preuves de tendresse, et d’indulgence, et de générosité, que vous m’avez données, ne sont pas oubliées… »

Le roman est achevé, Maria Chapdelaine dont il ne parle guère. Alors, au début de 1913, Louis Hémon redescend, par étapes, vers la civilisation. Il passe les mois de printemps, — du printemps de France, — à Montréal, et, le jour de la Saint-Jean, il écrit, de cette ville, ce dernier billet :


Montréal, 24 juin 1913.

« Je pars ce soir pour l’Ouest. Mon adresse sera « Fort William (Ontario), pour les lettres partant de Paris avant le 15 juillet.

« Ensuite « Winnipeg » (Mass), pour les lettres partant de Paris pas plus tard que le 1er août.

« Je vous ai envoyé trois paquets de papiers. Mettez-les dans une malle avec mes autres papiers. »

Pendant les vingt mois qu’il a vécu au Canada, Louis Hémon a séjourné surtout au bord du lac Saint-Jean, et particulièrement à Péribonka, qui est au Nord du lac. Tout est immense dans cette région : le lac lui-même, où se déversent de vrais fleuves, les distances d’une habitation à une autre, la durée de l’hiver, les bois qui couvrent des millions d’hectares. On peut lire, dans les prospectus de colonisation, cette phrase qui ne manque pas de grandeur : « La forêt fait vivre 100 000 personnes. »

Une partie de celles-ci, les défricheurs qui vont « faire de la terre, » se mettent en route vers le mois de mai. Ils campent dans le lot qu’ils ont acheté, et, abattant les arbres, pin blanc, pin rouge qui n’a pas d’aubier, épinette blanche, épinette noire, sapin baumier qui porte sur son écorce des sachets de térébenthine, pruche, cèdre que la pourriture n’entame pas, bouleau, et le reste, ils construisent d’abord la cabane. A l’automne, quand ils ont « claire » une partie du domaine, beaucoup s’en vont, qui ne reviendront pas : ils ont vendu leur lot. D’autres le vendent après quelques années, et s’établissent plus loin, emmenant femme, enfants, bestiaux, volailles, et l’espoir d’être mieux ailleurs.

C’est justement ce qu’avait fait, plusieurs fois déjà, le père Chapdelaine, l’hôte et le héros de Louis Hémon. A peine la