Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Evangéliste se dégageait un appel qui ne se laissait pas étouffer, une sorte d’alleluia de silence… »

Le dialogue continue. L’homme finit par dire : « Nous sommes tous après la vérité, mais c’est si difficile… » Et il raconte qu’à Varsovie, il a cru à une vérité ; qu’on se réunissait en cachette, paysans, ouvriers, étudiants de l’Université, professeurs même, et qu’on parlait de révolution, de liberté, de corruption vaincue, de propagande irrésistible,… et que cela a fini dans le sang, dans le feu et dans la ruine. Il raconte encore qu’à Londres il a cru au travail, mais que le « royaume de la paix » est bien long à venir. La jeune fille s’éloigne. La nuit enveloppe la ville. Le cordonnier veille, et se demande, en travaillant, si, des sept enfants auxquels il a donné la vie, ce ne sera pas Léah, la langoureuse, qui, la première, connaîtra la vérité.

On voit apparaître ici, dans cette œuvre de jeunesse, un signe qui est proprement celui de la supériorité : Louis Hémon a le sentiment de la grandeur morale. À cette époque, il n’était pas croyant ; — plus tard le devint-il ? on peut se le demander, je ne sais pas ; — mais il avait un respect profond, et certainement même un attrait pour les choses religieuses. Il n’en faut pas plus pour qu’un artiste sorte de la troupe des amuseurs, joueurs de viole ou montreurs de lanterne magique, et acquière, sans vaine recherche, par la simple bonne foi, un pouvoir d’émotion auquel ne saurait atteindre nulle habileté. Maria Chapdelaine en sera bientôt l’éclatante démonstration. Ici, dans la Foire aux vérités, il aurait pu aisément faire tourner à la caricature le portrait de la petite milicienne de l’Armée du Salut. L’ingénuité de la tentative y prêtait ; un esprit vulgaire n’aurait pas manqué l’occasion de se définir. Louis Hémon, au contraire, d’un mot sûr et discret, sans peut-être l’avoir expressément voulu, ennoblit l’inconnue, de qui émane « une sorte d’alléluia de silence, » et sauve de la profanation le grand nom qu’elle avait prononcé.

Je vois bien, dans une autre nouvelle, beaucoup plus développée, Lizzie Blakeston, publiée dans le Temps (du 3 au 8 mars 1908), cette même étude minutieuse d’un quartier populaire de Londres, cette même tendresse qui porte l’écrivain vers les pauvres gens : mais l’histoire d’une petite fille de Faith street, misérable et douée du génie de la danse, qui gagne le prix dans