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la propagande allemande juge bon de les métamorphoser en Sénégalais ou de chicaner à la manière de l’agence Wolf, dont le communiqué du 20 mai expliquait que, par troupes noires, il fallait entendre toutes espèces de troupes de couleur. Et, il n’y a là, rien de surprenant pour qui connaît la mentalité de nos adversaires. Les procédés de von Starck lui-même ne comportent guère plus d’honnêteté. Notre Reichkommissar ne se donne même pas la peine d’ouvrir une enquête préalable sur les faits qu’il dénonce à la Haute Commission interalliée. Il accueille et rapporte d’invraisemblables romans, comme la plainte de cette imaginative jeune fille de Mellbach qui cherchait tout bonnement à donner le change sur les conséquences de sa liaison avec un Allemand. Et il en transmettra d’autres que ses propres agents auront forgés de toutes pièces. C’est d’ailleurs ce que constate M. Tirard dans sa ferme réponse du 30 août relative à un mémorandum de 116 plaintes qui lui a été soumis le 8 juillet : « Les faits, dit-il, sont présentés sans ordre et, semble-t-il, sans aucune discrimination, sans qu’aucun renseignement soit donné sur la moralité des plaignants. Un grand nombre d’accusations sont imprécises et aucune preuve, de quelque nature qu’elle soit, ne vient les étayer. » Or du propre aveu de leurs auteurs, les plus venimeux libelles sur la Honte noire se bornent à reproduire ou à enjoliver ces fantaisies des mémoires officiels[1], dont fait justice la statistique suivante établie par l’autorité militaire française et afférente à la période d’avril 1919 afin juin 1920, date du départ des derniers Sénégalais :

TROUPES NOIRES. — Effectif moyen : 5 000 hommes. — Une plainte suivie d’acquittement. — TROUPES DE COULEUR (AFRIQUE DU NORD ET MALGACHES). — Effectif moyen : 15 000 hommes, 15 affaires suivies de condamnation, 5 affaires suivies d’acquittement. Soit, au total et en quinze mois, 15 condamnations pour un effectif permanent de 20 000 hommes ![2].

  1. Sur les 61 accusations contenues dans la célèbre brochure, Farbige Franzozen am Rhein, éditée en 1920 et répandue dans le monde entier par la ligue « Sauvez l’honneur, » 51 proviennent de ces mémoires. Elles y sont reproduites sans aucun soin, si bien qu’on y relève des pièces qui font double emploi, comme le n° 11, tentative de viol déjà enregistrée sous le n* 9, et comme la déclaration de la page 44 qui est, sous un autre numéro, une redite à peine camouflée du n° 4 de la page 32.
  2. Des statistiques plus récentes confirment l’insignifiance du pourcentage des affaires suivies de condamnations. En avril dernier, la Haute Commission interalliée constate que, sur 138 accusations portées contre les troupes de couleur. 5 affaires concernent des militaires français des troupes métropolitaines ; 3 affaires concernent des sentinelles ayant agi conformément à leurs consignes ; 49 affaires ont été reconnues comme sans fondement ; 51 ont été considérées comme insuffisamment établies pour pouvoir être poursuivies ; 30 ont été retenues comme pouvant donner lieu à des poursuites. Elles ont abouti à 13 condamnations, dont 4 a des peines de réclusion supérieures à trois ans ; 2 acquittements, 7 sanctions disciplinaires ; 8 non-lieu.
    Si ces chiffres montrent avec quelle sévérité l’autorité militaire a sévi lorsque les plaintes étaient justifiées, ils montrent aussi l’incroyable « légèreté » avec laquelle a été réunie la « documentation » de ces mémoires.
    Un tout récent exemple de cette sévérité nous a encore été fourni le 19 juillet dernier, où le tirailleur marocain Mohamed ben Ahmed du 63e R. T. M. reconnu coupable du meurtre de l’ingénieur allemand Burgmann, fut exécuté au camp d’aviation de Gonsenheim devant des détachements de toute la garnison. « Messieurs, dit le général Schmidt aux journalistes allemands qui étaient là, vous venez de voir passer la justice française ! » Justice autrement rigoureuse que celle de Leipzig et qui, peut-être, aurait gagné à s’étendre au cabaretier Maïer, de Hœchst, lequel, en violation flagrante du règlement militaire, avait servi une bouteille de cognac à Mohamed, qui était en état d’ivresse au moment du crime.