La Fontaine ne devait jamais retourner à Reims ni causer avec son ami des choses divines dans le joli jardin canonial qui jadis avait entendu de bien autres propos. Deux mois après, le 13 avril 1695, il mourut à l’hôtel d’Hervart « avec une constance admirable et toute chrétienne, » dit Charles Perrault. Lorsqu’on le déshabilla pour l’ensevelir, on trouva un cilice sur son corps.
Quand il apprit la mort de La Fontaine, Maucroix écrivit cette note dans ses Mémoires :
Le 13… mourut à Paris mon très cher et très fidèle ami M. de La Fontaine. Nous avons été amis plus de cinquante ans, et je remercie Dieu d’avoir conduit l’amitié extrême que je lui portais jusqu’à une assez grande vieillesse, sans aucune interruption ni refroidissement, pouvant dire que je l’ai tendrement aimé, et autant le dernier jour que le premier… C’était l’âme la plus sincère et la plus candide que j’aie jamais connue : jamais de déguisement : je ne sais s’il a menti en sa vie. C’était au reste un très bel esprit, capable de tout ce qu’il voulait entreprendre. Ses fables, au sentiment des plus habiles, ne mourront jamais et lui feront honneur dans toute la postérité.
On ne peut rien ajouter à ces simples et belles paroles. Celui qui les prononça fut le témoin de toute la vie de La Fontaine, son camarade de plaisir, son compagnon d’étude, le confident de ses disgrâces et de ses bonnes fortunes. La Fontaine lui a soumis ses projets et ses ouvrages, ayant égale confiance dans son goût, son savoir et son amitié. La candeur, la sincérité d’un homme qui n’a jamais menti, voilà la grande vertu de La Fontaine, et, à cause d’elle, ses amis, même les plus sévères, l’ont, bien avant l’abbé Pouget, absous de tous ses péchés. Quant au poète, Maucroix l’a aussi bien jugé. Un génie prodigieusement souple et divers, l’invention d’un genre, et, dans ce genre nouveau, d’inimitables chefs-d’œuvre, c’est toute la gloire de La Fontaine. Elle est immortelle : là-dessus non plus Maucroix ne s’est pas trompé.