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Et c’est encore dans ces mêmes jardins de Bois-le-Vicomte qu’il faut évoquer une dernière image de La Fontaine : ce n’est pas la moins charmante, et c’est peut-être la plus vraie. On la trouve dans une lettre de Vergier à Mme d’Hervart.


Je voudrois bien le voir aussi
Dans ces charmants détours que votre parc enserre
Parler de paix, parler de guerre,
Parler de vers, de vin, et d’amoureux souci ;
Former d’un vain projet le plan imaginaire,
Changer en cent façons l’ordre de l’Univers ;
Sans douter, proposer mille doutes divers ;
Puis tout seul s’écarter comme il fait d’ordinaire,
Non pour rêver à vous qui rêvez tant à lui,
Non pour rêver à quelque affaire,
Mais pour varier son ennui.


Et Vergier ajoutait : « Car vous savez, madame, qu’il s’ennuie partout, et même (ne vous en déplaise) quand il est auprès de vous, surtout quand vous vous avisez de vouloir régler ses mœurs ou sa dépense[1]. »

On peut se demander si La Fontaine s’ennuyait autant que Vergier l’a pensé. Comme lui-même ne nous en a jamais rien dit, Vergier a dû se tromper.


IV. — LA CONVERSION

Au milieu du mois de décembre 1692, La Fontaine, qui avait déjà passé par des crises de rhumatisme, tomba très gravement malade. Il était alors dans sa soixante-douzième année et demeurait encore chez Mme de La Sablière, rue Saint-Honoré. Ayant su la maladie de son paroissien, le curé de Saint-Roch chargea un de ses vicaires de l’aller visiter. Ce vicaire, l’abbé Pouget, était un jeune prêtre de vingt-six ans, docteur en Sorbonne et qui, trois ans plus tard, devait entrer à l’Oratoire. Il était d’esprit janséniste, car il figure au Nécrologe de Port-Royal comme un « Ami de la vérité, » et il devait être dans la suite un des premiers « appelants » de la Bulle. Il avait du coup d’œil, de la finesse, et, pour le salut des âmes, un zèle un peu brusque, un peu rude : on en jugera.

  1. Lettre de Vergier à Mme d’Hervart.