Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rien moins qu’homogène, il n’a pas une histoire propre comme à l’Irlande, il n’est après tout en Irlande qu’une minorité qui veut faire la loi à la majorité. Refuser l’autonomie à l’Irlande parce que l’Ulster n’en veut pas, c’est donc un étrange abus de la théorie du droit des minorités, et une violation manifeste du principe constitutionnel du gouvernement par la majorité. A-t-on refusé la liberté à la Bohème, à la Pologne, parce qu’il y a en Pologne et en Bohème des minorités allogènes et opposantes ? N’oublions pas que la population unioniste de l’Ulster n’est que de vingt pour cent de la population totale de l’Irlande, alors que dans les quatre comtés Ulstériens à majorité protestante il y a une minorité catholique et nationaliste qui s’élève à trente pour cent : autrement dit, la minorité nationaliste au cœur de l’Ulster est plus forte que la minorité ulstérienne en Irlande. Et on aurait égard à celle-ci et non pas à celle-là !

Mais, dira-t-on, si la justice est pour l’Irlande nationale, l’Ulster étant en fait récalcitrant, il faudrait, pour le faire rentrer dans le giron d’Erin, user de coercition : l’Angleterre s’y refuse… — Et avec raison, bien qu’à dire vrai ce soit précisément de cette même coercition qu’elle use vis-à-vis de l’Irlande nationale. Mais il ne s’agit pas d’employer la force à l’égard de l’Ulster. Que l’Angleterre abandonne simplement l’Ulster à lui-même, et on verra le problème tendre à trouver tout naturellement sa solution. Car c’est, nous le savons, une création artificielle de l’Angleterre que cette question de l’Ulster. L’Ulster politique est made in London. S’il est anti-nationaliste, c’est que la collusion des Tories avec les Orangistes l’a rendu tel, et, s’il ferme la voie à l’Irlande, c’est qu’un grand parti politique anglais l’y pousse et en profite. Qu’on le laisse tranquille, et il réfléchira. Il sait fort bien que, séparé de son hinterland, il souffrira dans sa vie économique et s’appauvrira. Il n’ignore pas qu’un jour viendra où, comme le Landlordisme, l’Orangisme, dernière citadelle de l’hégémonie anglaise en Irlande, disparaîtra par la force des choses. Il comprendra peu à peu qu’il ne saurait toujours se contenter de cette politique de splendide isolement, de ce rôle de geôlier de l’Irlande et de cette attitude d’éternelle opposition en face des aspirations nationales d’Erin. Le jour où l’Angleterre aura cessé de se servir de l’Ulster comme d’une arme de guerre contre le nationalisme irlandais, où elle l’aura rendu à lui-même et laissé sans