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courage manqua au gouvernement, peut-être aussi le loisir et la liberté d’esprit qu’il fallait pour donner une orientation nouvelle a la politique irlandaise de l’Angleterre ; il recommença à se plier aux volontés des Orangistes et des Tories, des partisans de la manière forte, plus que jamais puissants dans la Coalition : le cours des choses allait reprendre comme auparavant, et on allait voir s’achever l’évolution qui, d’une Irlande en majeure part encore saine, devait faire une Irlande décidément hostile, rebelle, et séparatiste.

La rébellion appelait une répression. Sévère ? Sans doute, on était en pleine guerre. Mais la rigueur n’est pas toujours la sagesse ; entre la clémence et la justice le dosage est délicat lorsqu’il s’agit d’un pays sujet malgré lui, d’une race différente, d’un peuple nerveux et sensible. Bien des voix en Angleterre, dont celle de Lord Bryce, conseillaient l’indulgence : elle avait bien réussi en 1914, lors de l’insurrection sud-africaine, au général Botha qui, ayant mis à la raison Maritz et Christian De Wet, avait su, sans une exécution capitale, rallier l’opinion à la cause anglaise. De fait, après les opérations militaires qui furent sanglantes et au cours desquelles tout un quartier de Dublin fut détruit, il y eut, tardivement, sur jugement secret en cour martiale, seize mises à mort ; il y eut plus de 3 000 arrestations, près de 200 condamnations, et 1 600 à 1 800 personnes déportées et internées en Grande-Bretagne par simple mesure administrative, le tout sous la loi sans appel de l’autorité militaire. La masse irlandaise, qui ne se sentait ni coupable ni responsable, n’accepta pas le châtiment comme légitime. Chose, étrange : le fait de la rébellion, l’exemple de la révolution, aurait dû la faire réfléchir et, si elle se sentait sollicitée par les idées avancées, la ramener dans la voie de l’ordre. Au lieu de cela, la répression remplit son cœur d’amertume, et réveilla, « polarisa » tous ses vieux griefs et son hostilité traditionnelle contre l’Angleterre. Peu à peu, on apprit les choses. On apprit les « erreurs » ou les abus de l’autorité militaire, tel le meurtre du paisible journaliste Sheehy-Skeffington. Ignorés la veille, on sut qui étaient les chefs, aujourd’hui célèbres, de la rébellion, des professeurs et des poètes comme Pearse, Mac Donagh, Joseph Plunkett ; Connolly, le travailliste ulstérien ; the O’Rahilly, chef de clan de Kerry. On se répéta le mot du colonel Brereton, qui fut leur prisonnier : « ils ont combattu en gentlemen.