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déchéance progressive, dans l’Irlande du Sud, de la « garnison » anglaise, de I’ « Oligarchie » anglo-saxonne, laquelle était il n’y a pas bien longtemps encore souveraine maîtresse, maîtresse du « château, » de la terre, de l’église, de la justice, et qui, s’étant vue dépouiller, peu à peu depuis un demi-siècle, de tous ses pouvoirs féodaux, de caste devenue classe, tend de plus en plus, par la force des choses, à se rapprocher des autres classes irlandaises : l’esprit dominateur s’échauffe chez l’orangiste à la pensée que dorénavant c’est à lui seul à mener le combat contre le nationalisme et à défendre ce qui reste de pouvoir anglais en Irlande, l’hégémonie de l’Ulster. En second lieu, il y a les excitations extérieures, celles des Tories anglais. Adversaires acharnés du home rule, les unionistes intransigeants, les Tories, ne se firent pas faute de s’agiter en Angleterre lorsqu’ils virent ce home rule, qu’ils croyaient mort, « mort comme la reine Anne, » avait dit Joseph Chamberlain, renaissant de ses cendres, accepté par le gros de l’opinion, proposé, « introduit » par le gouvernement libéral, tandis que la Chambre des Lords, réduit central de la résistance, allait voir par l’abrogation du veto son opposition annihilée d’avance. Qui appeler à l’aide ? L’Ulster, qui servira de drapeau à l’Unionisme, et dont ils sauront, par une intense propagande, exploiter les préjugés et flatter les passions ; l’Ulster est le meilleur à tout dans leur jeu. Donc pendant trois ans, de 1911 à 1914, les Tories « travaillent » l’Ulster, le secouent (il est un peu apathique au début), l’excitent et l’enflamment. Dès le mois de janvier 1911, M. Bonar Law, leader du parti conservateur et futur leader de la coalition aux Communes, presse l’Ulster a la lutte armée contre le home rule. « L’Ulster aura raison de résister, et nous le soutiendrons jusqu’au bout dans sa résistance. » et encore : « Quelque voie que vous ayez à prendre, constitutionnelle ou non, vous aurez tout le parti unioniste derrière vous. » Et M. Duke, depuis lors secrétaire en chef pour l’Irlande : « Les Ulstériens ont le droit moral de résister, et tuer ceux qui usent de ce droit ne serait pas oppression, mais meurtre. » Les plus hauts personnages du Toryisme paient de leur personne, et à leur exemple M. Walter Long, naguère encore ministre, lord Curzon, sir F. E. Smith, aujourd’hui lord Birkenhead et chancelier d’Angleterre. D’énormes fonds de propagande sont fournis par l’aristocratie anglaise. Pour diriger le mouvement, en Ulster, on choisit un Irlandais