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Rome, » ils détestent ce « Papisme » qui a survécu aux massacres, aux déportations, aux Lois pénales, qui redresse la tête et revendique ses droits, et en face duquel ils se considèrent comme les défenseurs de la liberté de conscience dans l’Ile Verte. Il y a de l’appréhension, — bien vaine pour qui connaît les sentiments vrais des nationalistes du Sud pour leurs frères du Nord, — à l’égard des mesures d’oppression qu’un Parlement irlandais à Dublin pourrait, si liberté lui en était laissée, prendre contre l’Ulster, contre ses intérêts matériels ou ses droits moraux. Il y a enfin et surtout un âpre attachement aux bénéfices que l’Ulster reçoit de l’Angleterre pour prix de son « loyalisme » et de sa lutte contre le nationalisme ; ce qu’il craint de perdre le jour où il ne sera plus en Irlande qu’une province comme une autre, ce n’est ni sa liberté, ni sa prospérité, mais son pouvoir de domination. Voilà l’esprit « orangiste » tel que l’a créé ou excité l’Angleterre comme moyen de lutte contre l’Irlande nationaliste Notez d’ailleurs qu’à côté subsiste en Ulster l’esprit démocratique ou plutôt radical, trait de race de l’Ecossais et du presbytérien, et souvenir historique chez ces descendants des insurgés de 1792, et que le radicalisme ulstérien, loin d’épouser la cause de l’hégémonie politique ou religieuse, n’est pas au fond bien éloigné de marcher avec les nationalistes comme au temps des « Irlandais Unis. » Notez enfin que l’Ulster n’a rien d’un bloc homogène, et que le nationalisme y a ses positions en face du radicalisme et de l’orangisme. Sur 1.580.000 habitants la province comptait, en 1916, 690.000 catholiques, et qui dit catholique dit nationaliste en Ulster ; aux élections de 1918, sur 17 sièges, l’Irlande nationale en avait 15 pour elle. Trois comtés, sur neuf que compte la province, sont presque exclusivement catholiques ; dans deux autres, catholiques et protestants s’équilibrent ; il n’en reste que quatre, Down, Armagh, Antrim et Derry, où la majorité soit protestante. L’Ulster n’est donc qu’une minorité en Irlande, et une minorité divisée.

Cette minorité, l’Irlande nationale ne la considère pas comme étrangère et réfractaire, elle n’a jamais désespéré de la rallier. L’opposition orangiste, puisqu’elle est liée à l’opposition anglaise, ne doit-elle pas tomber avec elle ? De fait, c’est tout le contraire qui s’est passé dès avant la guerre. L’orangisme s’est surexcité ; et cela pour deux raisons. La première est le contre-coup de la