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En Irlande même, l’Ulster excepté, l’unionisme est prêt à baisser pavillon. Centre et symbole du gouvernement britannique, le « château » reste sans doute le maitre du pays : instrument de classe et de combat, à la fois tyrannique et faible, irresponsable en tout cas, facteur de corruption et de division. Mais la minorité unioniste, l’oligarchie anglicane, l’Ascendency comme on dit là-bas, a peu à peu perdu ses privilèges de caste gouvernante, elle rentre dans le rang et tend à s’adapter au nouvel ordre de choses. Le landlordisme lui-même est en voie de disparition, grâce au rachat des terres organisé par la loi Wyndham de 1903 ; la petite propriété paysanne s’organise et s’étend. Remarquable est le progrès agricole de l’Ile Verte, qui est devenue, après les États-Unis, le principal fournisseur de la Grande-Bretagne en fait de denrées alimentaires ; émigration et paupérisme sont en décroissance. Rappelons d’ailleurs que pendant les années de recueillement qui ont suivi la mort de Parnell, l’Irlande a consciencieusement travaillé à sa régénération intellectuelle et morale, et, par la lutte contre l’anglicisation, à la restauration de sa mentalité comme de sa nationalité propre : nous avons dit en son temps, ici même[1], ce qu’a été le « mouvement gaélique. » Quant à l’antibritannisme, à ce sentiment national si ancien, si profond en Irlande, il est toujours là, latent et présent, plus ou moins marqué selon les individus et les milieux, produit fatal du passé, legs de tant de siècles de détresse et de tyrannie. Mais il est, dans les années qui précèdent la guerre, à son minimum de tension, et on peut croire que chez la plupart il céderait tout à fait le jour où l’Angleterre aurait donné définitivement satisfaction aux revendications nationales. Déjà en 1885, au temps de Gladstone, on avait vu se dessiner en Irlande une tendance à l’Union cordiale, trop tôt rompue. En 1914, l’Angleterre a cette fois avec l’établissement du home rule un moyen décisif, une occasion unique de concilier l’inconciliable Erin. Par exemple, que l’attente de l’Irlande soit trompée, que ses revendications viennent encore à être déçues, on verrait l’antibritannisme surgir tout d’un coup plus violent, plus tragique que jamais. On connaît le mot de Grattan : « Leurs égaux, nous serons leurs meilleurs amis ; à moins que cela, leurs pires

  1. Le recueillement de l’Irlande, dans la Revue du 15 avril 1902.