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l’entente avec l’Angleterre et dans le cadre de l’Empire ; l’autre est la « Force physique, » l’extrémisme intransigeant, qui, par la résistance passive et la reconstruction intérieure (c’est l’idée de la Jeune-Irlande en 1848 et de nos jours celle du Sinn Fein à ses débuts), ou par la violence et les moyens révolutionnaires (comme autrefois les Fenians et aujourd’hui les « républicains »), veut la séparation d’avec la Grande-Bretagne et l’Empire, l’affranchissement et l’indépendance d’Erin. Entre ces deux facteurs l’alternance, l’oscillation a été régulière dans l’histoire ; quand l’un déclinait, l’autre progressait ; chaque fois que l’action légale a été paralysée ou détruite, on a vu comme hier éclater l’action illégale : l’histoire politique de l’Irlande pendant la guerre pourrait presque se résumer dans la substitution de celle-ci à celle-là.

Celle-là était souveraine reconnue avant la guerre. Elle l’était de fait depuis une quarantaine d’années, depuis l’avènement du parti parlementaire national. Sans doute l’esprit extrémiste n’est pas mort, il survit dans certains groupes révolutionnaires ou fenians, il reste l’idéal d’un petit nombre d’intransigeants qui représentent moins un parti qu’une doctrine et vivent moins d’action que de pensée. Mais pratiquement le constitutionnalisme a pour lui la masse du pays, l’autorité morale, et le parti parlementaire, s’il fait souvent l’objet de critiques assez vives, a derrière lui le gros des forces nationales. Dressé par la rude main de Parnell, ce parti parlementaire, sous la présidence d’un homme de talent et de grand sens politique, John Redmond, jouit à Westminster d’une situation exceptionnelle depuis l’avènement du gouvernement libéral en 1906. Il soutient le gouvernement libéral dans sa lutte contre les lords et pour la suppression du veto de la Chambre haute : cet obstacle écarté, ne sera-ce pas la victoire assurée pour le home rule dont M. Asquith « introduit » le projet aux Communes en mai 1912 ? Les perspectives sont favorables. L’opinion anglaise n’oppose plus au home rule la même hostilité qu’autrefois ; hors le camp des Tories, elle l’accepte avec plus ou moins de résignation, comprenant que la justice ne peut être différée plus longtemps, éclairée aussi par l’exemple de ce qui s’est passé dans l’Afrique du Sud, où, après la guerre récente, la concession de l’autonomie a fondé et assuré le loyalisme boer.