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Pourquoi ? Essayons de comprendre. Ce n’est pas facile, car si, comme disait lady Clanricarde, fille de Canning, l’Angleterre est le mur trop haut qui cache à l’Irlande son soleil, ce haut mur cache aussi l’Irlande à nos regards continentaux. Etouffée ou déformée par la censure, les préjugés, les passions, les propagandes, la vraie voix d’Erin a peine à se faire entendre au dehors. Le gouvernement de Londres considère la question d’Irlande comme une question intérieure, « domestique. » Cela ne veut pas dire interdite. Par ses répercussions, elle déborde en effet de beaucoup son cadre géographique. Il importe à la paix du monde qu’elle cesse de troubler la politique anglaise, d’agiter l’Empire britannique, d’envenimer les rapports entre l’Angleterre et les États-Unis. Comment d’ailleurs ne serait-il pas loisible aux Français de garder au fond du cœur une vieille sympathie pour cette Irlande à qui les unissent tant de liens historiques et tant d’affinités ethniques, et pourquoi ne serait-il pas permis aux amis mêmes de l’Angleterre, à ses admirateurs très loyaux, ce qui ne veut pas dire aveugles, de s’intéresser en toute indépendance de jugement à l’Ile sœur dans le drame où se joue son destin ?


I

Pour comprendre comment s’est noué le drame, il nous faut remonter un peu dans le passé et nous remettre devant les yeux l’état des choses irlandaises dans les temps qui ont précédé la guerre.

Après six siècles d’invasions et de guerres, de plantations, de massacres et de persécutions, l’Irlande, liée malgré elle a la Grande-Bretagne par l’Acte d’Union de 1800, s’est vue pendant presque tout le cours du XIXe siècle maintenue sous un joug d’oppression civile et politique, d’exploitation économique et financière. Jamais elle n’a renoncé à ses droits nationaux, jamais elle n’a cessé d’en poursuivre la reconnaissance. Pour rompre le joug, pour gagner sa liberté, elle a fait tour à tour usage de deux forces, de deux méthodes d’action : l’une est l’action constitutionnelle et parlementaire, qui, par les voies de droit, a recherché avec O’Connell le Repeal ou l’abrogation de l’Acte d’Union, et depuis Butt et Parnell le home rule, c’est-à-dire la liberté ou certaines libertés de gouvernement dans