Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 65.djvu/367

Cette page a été validée par deux contributeurs.

main experte du plus habile artisan. Ne croyons pas que Stendhal ignore la façon dont on modifie le rythme d’une phrase, en y changeant une virgule, une virgule seulement. Il n’ignore pas davantage la façon dont on rehausse la couleur d’un adjectif, de manière que le reflet en avive tous les mots voisins. Il connaît les dissonances secrètes qui font que les mots se détestent entre eux, et prennent un air de gêne ou d’aigreur ; il sait les harmonies qui transforment leur assemblage en accord. Stendhal styliste : ce serait un nouvel aspect du personnage. Et le dernier chapitre de l’étude nouvelle qu’on écrirait alors sur lui serait le plus beau et presque tragique. Il le montrerait recevant à Cività Vecchia l’article de Balzac qui le sacre le plus grand romancier du siècle, mais qui mêle à ses éloges hyperboliques un conseil : celui de modifier son style, de le rendre plus facilement accessible au vulgaire, d’ajouter des explications. Alors, Stendhal inquiet, doutant des principes qu’il a toujours professés, n’étant plus sûr de cet instinct d’ouvrier de lettres auquel il a spontanément obéi, s’apprête à alourdir le style de la Chartreuse de Parme. Il a eu, dans sa vie, beaucoup de négations, peu de croyances ; parmi ses croyances, la plus ferme sans doute était qu’il devait s’en tenir à son art d’écrire. Maintenant, vieilli, et près de la mort, il ne sait plus. Il fait interfolier son roman ; et de son écriture fatiguée, il « ajoute quelques phrases pour éclairer, expliquer, aider l’imagination du lecteur à se figurer les choses. »

Surtout, nous nous débarrasserons de ce Stendhal hiératique que nous présentent encore ses pontifes ; immuable sur l’autel des dieux ; éternellement semblable à lui-même depuis ses débuts, qui furent parfaits, jusqu’à sa mort, qui fut une apothéose. Au contraire, nous introduirons dans son œuvre, — ne fût-ce qu’à titre d’hypothèse à vérifier, — l’idée d’une évolution. La chasse aux plagiats découvrira-t-elle des emprunts caractérisés jusque dans ses grands romans ? On ne peut jurer de rien quand on parle d’un tel homme. Il semble peu probable toutefois que la quête devienne jamais très fructueuse dans ces hauts parages. La facture y paraît trop personnelle, la conception même de la vie trop particulière, pour qu’on puisse attribuer le mérite essentiel de ces œuvres à d’autres qu’à lui-même. Pour le Rouge et le Noir, pour la Chartreuse de Parme, on a indiqué déjà des sources probables, voire certaines ; on en indi-