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inquiétude ; à nous-mêmes, et à Stendhal : les chefs-d’œuvre ont besoin de ce jugement d’appel, pour être authentifiés et garantis. L’intérêt passionné qu’on apporte aux questions de plagiat, je le comprends ; j’y vois un aspect particulier de la lutte éternelle entre les puissances de vérité et celles de mensonge. Dans le présent débat, dont le principe importe plus encore que l’objet, attendons que d’autres pièces aient été réunies avant de nous prononcer définitivement sur la valeur de l’œuvre de Stendhal.

Dès maintenant, la façon dont nous voyons que les Vies de Haydn, Mozart et Métastase, l’Histoire de la peinture en Italie, les Mémoires d’un touriste ont été composés, nous permettent de mieux comprendre la physionomie littéraire de l’homme. En matière de création esthétique comme en toutes choses, ce dilettante, cet épicurien (dont on s’obstine, je ne sais pourquoi, à faire un modèle d’énergie, voire d’énergie française), obéissait doucement à la loi du moindre effort, suivant laquelle il gouverna sa vie. Il trouvait plus aisé de prendre des passages tout écrits, que de les composer péniblement ; et donc, il les prenait, sans s’embarrasser autrement de scrupules : nous ne voyons pas que les scrupules moraux l’aient jamais torturé. Mais il n’en allait pas toujours ainsi. Cette intelligence supérieure dont Taine lui a reconnu le mérite, cette sensibilité d’autant plus vive qu’il la tenait cachée, et comme en réserve, se manifestaient par poussées. Il ne se donnait pas souvent, mais il se donnait tout entier. Alors venaient des pages dignes d’un très grand maître, riches de contenu, simples d’allures, montrant sans pompe les idées les plus vigoureuses et les sentiments les plus nuancés. Sa veine épuisée, il reprenait sa flânerie à travers les livres, et le travail d’autrui venait favoriser sa paresse. Ajoutons cette hâte d’en finir, et cette manie d’enfler ses volumes, qui le saisissaient au bout d’un temps. Le livre est promis, l’éditeur demande la copie ; la bourse est vide, il faut que les quelques écus promis par Delaunay ou par Ambroise Dupont viennent la remplir : sinon, il devra quitter l’Italie, regagner Paris, prendre une occupation servile. Hâtons-nous, remplissons cette page et puis cette autre ; demandons le concours d’amis complaisants, le baron de Mareste ou Romain Colomb, qui nous aideront bien à bâtir un chapitre. De tous les amis complaisants, les plus sûrs et les plus discrets, ce sont les