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aime son auteur d’un amour tout particulier ; il le connaît bien ; il connaît à fond la littérature italienne. Pour caractériser au juste le génie de Métastase, il évoque les grands noms de Dante, de Pétrarque, de Boiardo, de l’Arioste, du Tasse ; et il trouve pour chacun d’eux l’adjectif précis, l’adjectif opportun. Il sait que Dante, Pétrarque, l’Arioste, le Tasse, ont pu être imités ; il cite quelques-uns de ces imitateurs, qui ne sont pas tous illustres, tant s’en faut : qui a lu, en France un Agostini, lequel écrivit à la manière de Boiardo ? qui a vu son nom ? Stendhal l’a lu, et le donne en exemple. Son érudition n’est pas seulement étendue et profonde ; elle est délicate. Le style est aisé, « bien stendhalien : » on ne saurait s’y tromper. Point de ces phrases longues et pompeuses qu’il détestait ; au contraire, une série de phrases simples, faciles, et cependant point vulgaires, donnent à l’ensemble un mouvement fort agréable à suivre. Une formule heureuse résume tout le développement : les autres écrivains ont laissé quelque petite possibilité à ceux qui sont venus après eux d’imiter quelquefois leur manière : Métastase est le seul de ces poètes qui, littéralement parlant, soit inimitable. Il faut avouer que pour la vie de Haydn, Stendhal a copié Carpani ; pour la vie de Mozart, la chose est indubitable, il s’est « purement et simplement approprié une notice de Winckler. » Mais les lettres sur Métastase lui appartiennent en propre. On reconnaît la manière et l’accent. D’ailleurs, il affirme sa personnalité : je pourrais citer, dit-il, des octaves qui rappellent l’Arioste ; j’en connais un plus grand nombre dont l’harmonie et la majesté auraient peut-être trompé le Tasse lui-même…

Encore sous l’empire d’une affirmation aussi nette, j’ouvre, dans l’œuvre du critique italien Baretti, cette Frusta letteraria qui commença de paraître en 1763, et qui reste un des livres les plus vivants du XVIIIe siècle. Baretti était loin d’être un écrivain banal : on ne s’ennuie pas, même aujourd’hui, en sa compagnie. Il fonce sur les mauvais auteurs avec une sorte de rage ; il est tout nerfs et toute passion ; il prétend réformer la république des lettres, et donne à droite et à gauche de grands coups de sa « frusta, » de son fouet qu’il fait claquer tant qu’il peut. Il ne frappe peut-être pas toujours juste, mais toujours fort. Il eut un plaisir extrême à s’attaquer à Voltaire, et à prouver qu’il ne connaissait ni l’italien, ni l’anglais, ni