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politique ; elle avait besoin d’une littérature qui traduisît ses espoirs et ses droits, d’une littérature qui fût grande et belle, capable de montrer au monde que la nation était digne de ressusciter. Il importait de savoir si les théories nouvelles étaient aptes à faire naître cette littérature ardemment souhaitée. Ajoutons que Milan, la grande ville, largement ouverte à toutes les influences, fertile elle-même en nobles et vigoureux esprits, offrait un champ d’expériences unique. Toutes les idées concernant le renouvellement des lettres furent examinées, critiquées, mises à l’épreuve. Et Stendhal profita de tout. Ce qui l’intéressait le plus, après la chasse au bonheur, c’était la chasse aux idées. A la Scala, dans la loge de son ami de Brème, partisan déclaré du romanticisme, dans les cafés, dans les salons, partout où le menaient sa curiosité et ses loisirs, il écoutait. Son parti était pris ; il était pour Shakspeare contre Racine ; il avait plaisir à fortifier sa conviction par tous les beaux arguments qu’on émettait autour de lui, et qu’il saisissait au vol. Ceci jusqu’au jour où, désespérant de se faire aimer de cette Métilde qu’il adorait, et tracassé par la police qui suspectait ses allures, il dut quitter la vue du Dôme et regagner cet affreux Paris.

Il s’aperçut bientôt que les Parisiens étaient en retard, — quoi d’étonnant, puisque les Milanais étaient supérieurs en tout ? — sur les Milanais. Ils n’avaient pas lu les substantielles brochures, les journaux de combat publiés en Lombardie : ils ne lisaient rien. Les attaques lancées par les romantiques étaient faibles ; il en connaissait de plus vigoureuses, et de décisives. Les défenses opposées par les classiques étaient vieillottes, étaient périmées. Il voulut faire profiter les Parisiens, vaniteux et attardés, de son expérience ; il leur montrerait, par exemple, qu’une action dramatique était toujours invraisemblable, qu’on la limitât à vingt-quatre heures ou qu’on l’étendit à plusieurs années : l’essentiel était de procurer aux spectateurs des moments d’illusion, qui leur fissent oublier le lieu, l’heure et toutes les réalités. Toute pièce capable de susciter dans les âmes ces courts moments d’illusion est bonne, — l’observation des règles ne fait rien à l’affaire. Stendhal, fort de sa sagesse milanaise, se jeta donc dans la mêlée, et lança sa brochure sur Racine et Shakspeare, dont le premier chapitre contient l’amusant dialogue que l’on connaît, entre un Académicien et un romantique :