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quement, sous un angle de plus en plus aigu. L’espace et le temps ne sont donc que des effets de perspective.

Pouvons-nous concevoir l’espace à quatre dimensions, c’est-à-dire pouvons-nous en imaginer une représentation sensible ? Si non, cela ne prouvera rien contre la réalité de cet espace. Pendant des siècles on n’a pas conçu les ondes hertziennes et aujourd’hui encore elles ne nous sont pas directement sensibles. En existent-elles moins ? En vérité, nous ne concevons déjà que difficilement l’espace à trois dimensions. Sans nos déplacements musculaires nous l’ignorerions. Un homme paralysé et borgne, c’est-à-dire n’ayant pas la sensation du relief que donne la vision binoculaire, — qui est, elle aussi, avant tout un tâtonnement musculaire, — verrait de son œil unique et immobile tous les objets projetés dans un même plan, comme sur une toile de fond au théâtre. L’espace à trois dimensions lui serait inaccessible.

Mais je crois que certaines personnes peuvent se représenter l’espace à quatre dimensions. Les divers aspects successifs d’une fleur aux différents âges de sa croissance, du jour où elle n’est qu’un fragile bourgeon vert jusqu’à celui où ses pétales épuisés tombent dolents, et les divers déplacements successifs de sa corolle sous l’influence du vent constituent une image globale de la fleur dans l’espace à quatre dimensions. Est-il des hommes pouvant d’un seul coup voir tout cet ensemble ? Oui, et notamment, je crois, les bons joueurs d’échecs. Si un grand joueur d’échec joue bien, c’est parce que, d’un seul regard de son œil mental, il voit simultanément toute la suite chronologique des coups successifs possibles dérivés d’un seul coup initial, avec toutes leurs répercussions sur l’échiquier. Les mots soulignés dans la phrase précédente jurent un peu d’être accouplés. C’est que nous sommes dans un domaine où c’est une gageure de prétendre exprimer vocabulairement les nuances des choses. Autant vaudrait, après tout, vouloir exprimer avec des mots ce qu’il y a dans une symphonie de Beethoven. « Traduttore traditore : » si cet adage est vrai, c’est surtout parce que le mot est l’organe de la traduction.

Arrivés à ce point, dans notre lente ascension de la physique relativiste, nous n’avons plus devant les yeux qu’un champ de