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voulu tenter d’absorber l’animal vivant, tandis que, sous la forme où il se présente à la sortie, il est immédiatement assimilable et digéré, bien que ceci ne soit que cela convenablement trituré. Ce n’est pas autre chose que font les mathématiques. Elles extraient des données toute leur substantifique moelle par le moyen d’une machinerie merveilleuse et qui est efficace, là où les rouages du raisonnement verbal, là où l’imbrication des syllogismes seraient bientôt arrêtés et coincés. Faut-il en conclure que les mathématiques ne sont pas, à proprement parler, des sciences, ou faut-il du moins en conclure qu’elles ne sont sciences qu’autant qu’elles se modèlent sur la réalité et se nourrissent de données expérimentales, puisque « l’expérience est la source unique de la vérité, » et puisque la science est la recherche de la vérité ? Je me garderai bien de répondre à cela, étant de ceux qui pensent que tout est matière de science. Cette question n’en méritait pas moins d’être posée, étant donné qu’on a peut-être un peu trop tendance chez nous à considérer une éducation purement mathématique comme constituant une éducation scientifique. Rien n’est plus faux. La mathématique pure n’est par elle-même qu’une forme abréviative donnée au langage et à la pensée logique. Elle ne peut rien nous apprendre intrinsèquement sur le monde extérieur ; elle ne peut nous renseigner sur lui qu’autant qu’elle s’y lie docilement. C’est de la mathématique surtout qu’on pourrait dire : naturæ non imperatur nisi parendo.

Les théories d’Einstein ne sont-elles, comme certaines personnes mal informées l’ont prétendu, qu’un jeu de formules transcendantes (et j’entends ce mot à la fois au sens des mathématiciens et dans celui des philosophes) ? Si elles n’étaient qu’un vertigineux édifice mathématique où les enroulent leurs volutes en arabesques étourdissantes, où les intégrales au col de cygne dessinent des motifs Louis XV, elles ne seraient pas, elles ne seraient guère intéressantes pour le physicien, pour celui qui regarde et examine la nature des choses avant d’en disserter. Elles ne seraient, comme toutes les métaphysiques cohérentes, qu’un système plus ou moins plaisant, mais dont on ne peut démontrer l’exactitude ou la fausseté.

La théorie d’Einstein est bien autre chose, bien plus que cela. C’est sur les faits qu’elle se fonde. C’est aussi à des faits, à des faits nouveaux Qu’elle aboutit. Jamais une doctrine philo-