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SUR L’ESPACE ET LE TEMPS
SELON EINSTEIN[1]

Ce serait folie de prétendre pénétrer dans les moindres recoins des nouvelles théories d’Einstein, sans le secours de la tarière mathématique. Je crois pourtant qu’on peut tâcher de donner au moyen du langage ordinaire, c’est-à-dire par des images et des raisonnements verbaux, une idée assez approchée de ces choses dont la complexité se modèle d’habitude sur le jeu infiniment subtil et souple des formules et des équations mathématiques. Après tout, la mathématique n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais autre chose qu’un langage particulier, une sorte de sténographie de la pensée et du raisonnement, qui a pour but et pour résultat de franchir les méandres compliqués des raisonnements superposés, avec une rapide hardiesse que ne connaissent pas la lourdeur et la lenteur mérovingiennes des syllogismes exprimés par des mots.

Si paradoxal que cela puisse paraître à ceux qui considèrent les mathématiques comme étant par elles-mêmes une source de découverte, on ne sortira jamais d’un développement mathématique autre chose que ce qui était implicitement inhérent aux données jetées dans la double mâchoire des équations. Pour employer une image triviale qu’on me pardonnera, j’espère, les raisonnements mathématiques sont tout à fait analogues à ces machines qu’on voit à Chicago — à ce que disent les hardis explorateurs de l’Amérique, — à l’entrée desquelles on met des bestiaux vivants et qui restituent à la sortie d’odorantes charcuteries. Nul parmi les spectateurs n’eût pu ou du moins n’eût

  1. Copyright by Charles Nordmann, 1921.