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Après ces discours, hachés d’applaudissements, nous visitons l’intérieur du Parlement, puis nous allons parcourir la ville. Elle est d’aspect américain, à part la place du Gouvernement. Québec est une ville française, Montréal une ville anglo-française ; Ottawa, comme toutes les villes que nous traverserons désormais, est construite à l’américaine, en damier, avec de larges et longues avenues, plantées d’arbres.

Le soir, diner au Country Club. Ce délicieux endroit a été choisi parce qu’on y aura l’agréable liberté de nous offrir des vins de France.

La ville d’Ottawa est en effet bâtie au bord de la rivière du même nom, qui sépare les deux provinces de Québec et d’Ontario. Or, la province d’Ontario est au régime sec, — cela veut dire, qu’on n’y boit que de l’eau, — tandis que celle de Québec a gardé le droit de boire du Saint-Julien, du Château-Laffitte, du Rœderer, etc. Heureux habitants d’Ottawa ! Ils peuvent à volonté se mettre par hygiène au régime de l’eau pure et quand il devient trop plat et monotone, que la tentation est trop forte, il suffit de passer les ponts ! Cures d’eau et de vin alternées ! Ne semble-t-il pas qu’il y ait là une situation éminemment favorable à l’entretien d’une bonne santé ?

La soirée que nous passons au Country Club est extrêmement agréable. Elle est marquée par une lutte qui s’établit à la fin du dîner entre les orateurs locaux et ceux de la mission. Tout le monde sait combien les Américains sont sensibles à la musique des mots ; c’est au point que les banquets ne sont souvent que prétexte à discours dont la succession est soigneusement réglée soit par le Président, soit par un personnage spécial appelé « toastmaster. » Comment expliquer que des gens d’esprit positif et pratique, réalisateurs, allant toujours au fond des choses, crevant le décor pour regarder ce qu’il y a derrière, comment expliquer que ces gens s’abandonnent ainsi au mirage de la parole ? Peut-être est-ce par simple réaction, pour le plaisir de sortir du domaine des faits, en s’envolant un instant dans le monde des idées. Il ne faut pas oublier non plus que les Américains se distinguent des Anglo-Saxons par un idéalisme et une générosité qui les rapprochent beaucoup des Latins. Quoi qu’il en soit, les Canadiens, aussi bien Français qu’Anglais, ont pour les manifestations oratoires le même goût que les Américains.

Fort heureusement, nous avions prévu ce débordement de