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vers un énorme bûcher. L’honneur d’y mettre le feu est réservé au maréchal ; il en fait le tour, une torche à la main, et en un instant cette masse de bois et de fagots est couverte de flammes qui montent droites au ciel, comme une épée, dans une gerbe d’étincelles. Ce n’est pas sans émotion que nous pensons qu’en ce même jour s’allument sur les collines de la vieille France et les places de nos villages les mêmes feux symboliques. C’est la même âme qui palpite des deux côtés de l’Atlantique.

Au retour, vers minuit, beaucoup d’entre nous sont silencieux, plongés dans une méditation profonde ; ils rapprochent cette fête de la Saint-Jean, fête nationale des Canadiens français, de notre deuxième fête nationale qui vient d’être instituée en l’honneur de Jeanne d’Arc.

— Vous dormez ? dit l’un en poussant le coude de son voisin.

— Moi ! non, je rêve. Ce bûcher m’a rappelé celui de Jeanne d’Arc. Sans doute, couvert de poix et de résine, il s’est lui aussi embrasé d’un bloc. J’espère que notre Sainte n’a pas trop longtemps souffert.

— On peut croire au contraire qu’elle est morte lentement, comme le Christ, en priant pour la France, et en s’offrant en holocauste pour elle.

— Quelle prodigieuse histoire que la nôtre ! Et qui sait si, dans la dernière guerre, nous n’avons pas encore bénéficié du sacrifice de cette petite Lorraine de dix-neuf ans ?

— N’en doutez pas. Les lueurs de 6on bûcher illumineront toujours dans la suite des temps les visages de nos soldats, descendants de ses compagnons d’armes.

Le lendemain est un dimanche, et nous allons à la messe à la cathédrale. Là aussi la foule nous attend, et quand nous entrons, les orgues jettent à grand fracas sous les voûtes les appels de la Marseillaise !

Belles allocutions de Mgr Gauthier, recteur de l’Université Laval, et de Mgr Landrieux, où s’échangent, en se mêlant dans une commune prière, le salut du Canada à la France et celui de la France au Canada.


* * *

A onze heures, départ en bateau pour Québec, où nous arriverons à neuf heures et demie du soir.

Le temps est superbe et le spectacle d’une incomparable