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à être une pauvre petite chose repoussante. Mais sa tête, trop grosse pour son corps de malade, était toujours aussi jolie et il avait toujours ses mêmes yeux qui imploraient et qui remerciaient. Il était perdu et il avait l’air de le savoir ; il nous regardait bien en face, avec une expression intense de tristesse et de prière.

Et ce matin, il n’eut plus la force de se lever ; mais tout de même, quand on s’approchait, il dressait encore la tête, pour remercier du regard, et faisait son petit ron-ron affaibli. Ce soir, il s’allongea dans la pose des chats qui vont mourir. Nous nous sommes relayés, mon fils et moi, pour lui tenir compagnie ; il avait très bien conscience de notre présence, et le petit ron-ron, que l’on n’entendait plus maintenant qu’en s’approchant tout près, nous remerciait encore.

Mon fils l’a gardé sur ses genoux jusqu’à une heure du matin, jusqu’au moment où, après deux ou trois crispations d’agonie, il ne fut plus qu’une petite chose froide et inerte, dégoûtante à toucher, un rien pitoyable. Sa petite pensée, sa petite connaissance, sa petite tendresse, qui dira où tout cela était parti ?…


Vendredi, 12 septembre.

Le matin, au beau soleil, nous avons fait un trou dans le jardin de notre maisonnette, sous une treille, pour enfouir le petit chat Mahmoud. Cinq ou six enfants du voisinage étaient venus pour assister gravement à cette inhumation.


Samedi, 13 septembre.

Le chef des Derviches, notre hôte de l’autre jour, m’a fait annoncer sa visite pour cet après-midi ; c’est aussi le jour où la Supérieure de l’Hôpital français m’a promis de venir me voir, dans ma petite maison de Stamboul. Tant pis, la bonne sœur et le derviche ne peuvent que bien s’entendre, et ce sera comique de les recevoir ensemble.

Il faut que j’envoie prendre la sœur en haut de Péra, sans quoi elle n’oserait jamais se risquer seule au cœur de Stamboul ; et ce sera Djemil qui ira la chercher, car il l’a déjà vue, il y a trois ans, quand j’étais à l’hôpital.

Djemil, d’ordinaire si débrouillard, a été assez long à comprendre la mission que je lui confiais. J’essayais de lui