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projets de rendez-vous pour ce soir, je les abandonne, sans un mot d’excuse. Stamboul est vide et sans âme pour moi ; mon logis oriental me fait hausser les épaules et me dégoûte. Je m’enferme et ne veux voir personne.


Vendredi, 5 septembre.

Grâce à un vieil imam laveur de morts, la tombe a été enfin retrouvée ; je me réveille d’un cauchemar. Et c’est invraisemblable, cette histoire, c’est comme si de mauvaises fées, de mauvais génies s’en étaient mêlés…

Avant-hier soir, nous ayant entendu parler entre nous des stèles, donner des détails sur leur inscription, leur dessin et leur couleur, l’un de mes domestiques turcs, — celui qui est derviche tourneur, — était allé en causer avec ce vieil imam laveur de morts. Et ce matin, le vieil imam est venu dire : « J’ai retrouvé une tombe qui se rapporte au signalement donné : le nom de la morte est le même, et la date et tout… Seulement cette tombe n’est pas dans le cimetière de la « Porte d’Andrinople, » mais dans celui de la « Porte de Top-Kapou. » En entendant cela, j’ai d’abord haussé les épaules ; est-ce que c’est possible ? Alors, je serais fou ! Je sais bien que, depuis des années, je sortais par la « Porte d’Andrinople, » pour aller au cimetière. — « Il faut tout de même voir, » m’ont dit mon fils et Osman, et je me suis laissé entraîner… Il y avait bien en effet ce point inexplicable : c’est que, mercredi, dans le cimetière, je ne me sentais pas chez moi, les arbres familiers n’étaient pas tout à fait à leur place, le décor, sans doute par un affaiblissement de ma mémoire, me semblait changé, — et puis, cette vieille maison qui n’y était pas jadis et qui avait surgi là, comme par miracle…

Nous montons dans notre voiture, Kenan Bey, Osman et moi. — Je suis sceptique, sans espoir. Nous allons chercher d’abord le vieil imam dans sa maisonnette, car c’est lui qui doit nous guider. Puis nous sortons des remparts encore par la « Porte d’Andrinople ; » mais nous ne nous arrêtons pas aujourd’hui au cimetière en face, puisque la tombe n’y est plus. Nous tournons à droite, longeant la muraille byzantine, par la route désolée, jusqu’à l’autre porte, qui doit avoir elle aussi son cimetière. Que des fées y aient transporté les stèles, cela me semble toujours impossible.