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plus de lyrisme possible au trantran de la vie. Seulement, tout de même que si la vie quotidienne ne comportait aucun lyrisme, hélas ! il arrive que le lyrisme qu’on lui met l’endimanche : ce costume n’est pas son costume de tous les jours, n’est pas le sien. Cette parure montre et la disparate rend plus évidente la simplicité vraie, l’humilité ou la vulgarité de l’existence qu’on habille ou qu’on déguise.

Le recueil intitulé le Dimanche en famille a une signification pareille, qui prête à rire et bientôt à ne rire plus. C’est, en somme, le combat de la petitesse et de la grandeur ; le sublime et le terre à terre luttent d’énergie ou légère ou pesante ; la poésie et la prose sont en émulation bizarre : elles s’efforcent l’une et l’autre et leur querelle résume toute la philosophie de nos journées. Or, la querelle que voilà et qui est le sujet de ces poèmes, on la trouve aussi dans les vers, dans leurs mots, dans leur rythme et dans leur façon de n’être point assurés de leur parti.

La muse de M. Franc-Nohain, c’est l’ironie.

Qu’est-ce que l’ironie ? Un sentiment, non pas une manière. Une manière, on s’en lasse vite. Un sentiment se varie de toutes les occasions qui lui sont offertes ; et il a une vérité qui, en toutes occasions, l’autorise, le justifie, l’impose à notre amitié, du moins à notre curiosité, puis à notre intérêt. Le sentiment de l’ironie ? Mais oui !… Nous voici en contact vif et dangereux avec la réalité. Elle nous plaît ou bien nous déplaît, nous caresse ou bien nous offense. Et qu’importe ? Elle n’en sait rien ; ce n’est pas notre émoi qui la dénature. Certaines gens ont peu d’émoi ou sont maîtres de leur émoi de telle sorte que leur esprit réfléchit l’exacte réalité : ils la peindront comme ils l’ont vue ; ils l’auront vue comme, pour abréger, nous supposons qu’elle est sans nous. D’autres gens cèdent à leur émoi et ne distinguent pas de leur émoi la réalité qui en fut la cause. Ils confondent l’effet et la cause ; ils ne se méfient pas du changement qui se produit de la cause à l’effet. Ce qu’ils peindront, ce n’est pas la réalité mais seulement leur impression de plaisir ou de peine. La réalité disparaît. Que préférez-vous, la réalité brute et, sans l’intervention d’une pensée, la réalité insignifiante ? ou bien la vaine image d’une réalité que l’on a méconnue ?… Ces deux peintures sont mauvaises, l’une qui nous est indifférente, et l’autre qui n’est rien. Voulez-vous de l’émoi et de la réalité aussi ? Vous préserverez votre émoi, et aussi la réalité, si entre elle et vous se place, comme une demi-teinte sur de fortes lumières, un léger voile d’ironie.

C’est un sourire : on l’interprétera, si l’on veut, comme un rire ;