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ses places et ses avenues dallées, ne nous permet plus de rester à table. On nous conduit, pour le café et la fumerie, dans des salons vitrés où il fait grand jour. Nous sommes là dans l’espace et la lumière, assis sur des divans de lampas rose lamé d’argent ; d’énormes pièces d’orfèvrerie, posées çà et là par terre, servent à faire tremper des gerbes de fleurs odorantes. Pour cette fumerie, on apporte à chacun de nous des chibouks au fourneau alourdi de gros diamants historiques, qui représentent chacun une fortune, et dont les tuyaux de jasmin sont si longs que les bras des hommes seraient trop courts pour les allumer ; affaire d’étiquette, car ça oblige un serviteur, agenouillé dans sa grande robe de soie, à se tenir auprès de chacun de nous pour les entretenir. Le café blond, il va sans dire, est d’un parfum exquis… Tout à coup, dans ce vieux palais mort, s’élève le chant délicieux du muezzin ; c’est l’appel pour la prière du soir, dans la mosquée de ces hommes demi-fantômes, que sont les eunuques blancs. Quand nous nous levons pour nous y rendre, Stamboul s’est déjà illuminé ; vu de ce lieu, surtout le soir, il offre aux yeux une féerie incomparable ; la forêt des minarets, qui a poussé sur toute cette pointe du Sérail, est entièrement baguée de couronnes de feux.

A notre sortie, les étranges vieillards insexués sont encore rangés près des portes, pour nous faire honneur.

« Vous savez, me dit un de mes hôtes, que Sa Majesté avait eu l’idée de vous loger ici même, un honneur jamais fait à personne. C’est nous qui l’en avons dissuadé ; c’eût été trop funèbre : il y a trop de revenants qui se promènent ici, la nuit. » Hélas ! c’est donc vrai que j’aurais pu habiter là, y faire transporter ma table d’argent massif et ma lourde vaisselle d’or, y devenir le maitre pendant quelques jours, et maintenant, jamais je ne retrouverai plus une telle occasion…


Mardi, 2 septembre.

La lune nouvelle a été aperçue, c’est donc la fin du Ramazan. Demain aura lieu la fête de Baïram ; et après, Stamboul reprendra sa physionomie habituelle et son tranquille silence.


Mercredi, 3 septembre.

Baïram, Stamboul en fête sous l’ardent soleil, — pour moi, jour de profond désespoir que j’étais loin d’attendre…