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et leste. Qu’auraient-ils été la nuit, pour celui qui n’avait pas la moindre connaissance de ces lieux où les pentes sont sillonnées de nombreux ravins plus profonds les uns que les autres. L’Empereur aurait-il pu, lui qui était assez lourd et peu habitué à parcourir les montagnes, s’engager dans une entreprise aussi périlleuse, dont le succès ne pouvait être qu’imaginaire ? Le gouverneur oubliait-il que toutes les côtes de l’ile, excepté quelques rares endroits, étaient très escarpées ou taillées à pic ? Oubliait-il encore que pendant le jour et la nuit des bricks étaient constamment en croisière et que des signaux l’instruisaient de ce qui se passait sur la mer ? Quel était donc le moyen qui restait à Napoléon pour se sauver de l’ile ? Pouvait-il sur une planche gagner un continent éloigné de quatre cents lieues ? Le gouverneur n’avait à craindre qu’une flotte, et encore cette flotte aurait-elle eu de la peine à se rendre maîtresse de l’ile qui partout est inexpugnable.

Je ne doute pas que le gouverneur ne fût esclave des ordres ou instructions qu’il recevait du ministère britannique ; mais, tout en les exécutant, même à la lettre, il devait y mettre plus de forme et de bons procédés, et, si ces mêmes ordres ou instructions étaient exagérés et contre l’honneur, il devait donner sa démission. Une telle conduite eût été de sa part un acte fort honorable que, certes, la nation anglaise n’eût pas désavoué.


XVI. — MON MARIAGE.

Dans les premiers mois de l’année 1819, il fut envoyé à Mme Bertrand par lady Jerningham, sa tante, une jeune personne pour être gouvernante des enfants du Grand-Maréchal. Il y avait déjà plusieurs années d’écoulées depuis que nous étions à Longwood, et combien d’autres encore pouvaient s’écouler ! Dans cette incertitude de l’avenir et vivant, pour ainsi dire, dans une espèce de réclusion continuelle, n’ayant d’autre distraction que le travail qui demandait et exigeait beaucoup d’assiduité et qui n’était coupé que par quelques moments de promenade, je crus devoir me marier, pour mener une vie d’époux et de père de famille. Je fréquentai la jeune personne, et j’appris à la connaître et à apprécier ses qualités, dont tout le monde faisait l’éloge. Elle avait été fort bien élevée. Après quelques mois d’assiduité, je me décidai à réaliser