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lesquelles on pénètre dans l’épaisseur de ces murailles sont fermées par des portes bardées de fer que gardent nuit et jour des sentinelles en armes ; lorsqu’on entend se refermer derrière soi ces portes farouches, on se sent comme séquestré et séparé à jamais du reste du monde. Tout d’abord, on se trouve dans des avenues pavées de grandes dalles de pierre qu’abritent les ramures de cyprès et de platanes sans âge, et l’on arrive aux kiosques épars, dans cette région du silence, que ne visite presque jamais personne aujourd’hui. Là, chaque Sultan de jadis, pour suivre la tradition et ne pas vivre où son prédécesseur était mort, avait fait construire son propre palais. Et il faut des autorisations très spéciales pour s’en faire ouvrir les portes fermées à double tour[1].

Nous sommes six ou huit invités, triés parmi les membres les plus considérables du Comité de la Suprême Défense Nationale. Avant d’aller prendre place autour de la table ronde, en argent ciselé comme toujours, on nous propose de nous promener dans les appartements des harems de ces sultans d’autrefois, dans lesquels on n’avait jamais pénétré jusqu’à ce jour et où n’habitaient que de vieilles sultanes quasi centenaires qui y finissaient leur vie, dans une séquestration et un silence éternels ; à cause de nous, on a momentanément caché ces nobles vieilles dames. Un des appartements qui nous frappe le plus, c’est le Harem du Sultan Abd-ul-Medjid ; après avoir traversé nombre de couloirs étroits et obscurs, avec des sentinelles partout et des portes effroyables, nous pénétrons dans des salons aux plafonds tout ciselés et dorés dont les divans sont recouverts de merveilleux lampas d’un rose cerise lamé d’argent. Je dis alors à mes aimables hôtes : « Ce sont des vrais palais des Mille et une Nuits, mais combien on y est oppressé par le sentiment qu’on ne peut y entrer et en sortir que par d’étroits passages en souricières et que toute évasion serait absolument impossible s’il plaisait au Souverain, Maître de céans, de vous y garder captif ! — Oh ! non, dit mon guide, avec un sourire semi-ironique semi-respectueux, regardez, il y a aussi une sortie pour certains privilégiés. » Il ouvre alors un petit panneau délicieusement ciselé et doré, qui est au pied du divan

  1. Ceci était écrit en 1913, mais ce n’est plus exact aujourd’hui. Maintenant ce lieu a été profané par une quantité de touristes de marque, qui ont obtenu par les ambassades l’autorisation de le visiter.