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Pendant les deux premières années du séjour de Longwood, c’est-à-dire jusqu’au départ successif de M. de Las Cases et du général Gourgaud, l’Empereur dinait avec toutes les personnes de sa suite, à l’exception cependant du Grand-Maréchal et de Mme Bertrand ; et ensuite, jusqu’au départ de Mme de Montholon, il avait invité tantôt le Grand-Maréchal seul, tantôt avec la comtesse, une autre fois M. et Mme de Montholon, une autre fois tous ensemble. Souvent aussi il lui arrivait de dîner seul. Depuis le départ de sa femme, le général de Montholon mangeait presque constamment avec l’Empereur, à moins que celui-ci ne fût indisposé ou ne voulût prendre que peu de chose. L’Empereur sentait que l’état d’un homme abandonné à lui-même était chose fort triste, surtout pour celui, qui, comme M. de Montholon, venait de voir récemment s’éloigner sa famille. Le Grand-Maréchal, n’étant pas dans les mêmes conditions que M. de Montholon, n’était pas aussi fréquemment invité. Entouré d’une nombreuse famille, le Grand-Maréchal avait maison montée, et tout se faisait chez lui ou du moins en grande partie ; c’eût été une trop grande gêne pour lui et les siens, d’être astreints à venir prendre constamment leurs repas à Longwood, particulièrement dans les mauvais temps, sa maison étant éloignée de trois ou quatre cents pas de celle de l’Empereur.

La promenade durait jusque sur les huit ou neuf heures. À cette heure-ci, le cordon des factionnaires de l’enceinte de Longwood se rapprochait autour de la maison. Alors l’Empereur rentrait dans son intérieur et ces messieurs s’en allaient chacun chez soi. Quelquefois cependant l’un d’eux était retenu. L’Empereur appelait Marchand pour achever de le déshabiller, car il n’était pas plus tôt dans sa chambre, qu’il jetait son chapeau sur le tapis, se dépouillait de son habit, ôtait son cordon, son gilet, son col, sa cravate, ses bretelles ; tout était çà et là autour de lui. S’il voulait travailler, on lui passait sa robe de chambre et son pantalon. Si, en se couchant, il n’avait pas grande envie de dormir, il faisait rester celui de ces deux messieurs dont il s’était fait suivre, ou Marchand. De bonne humeur, il causait ; de mauvaise, il ne disait mot, si ce n’est une parole par ci par là. Celui qui était auprès de lui restait jusqu’à ce qu’il l’eût congédié ou qu’il se fût endormi. Lorsque l’Empereur se couchait tard, le valet de chambre de service était presque toujours sûr de passer une bonne nuit ; mais s’il se mettait de bonne heure au lit,