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couramment en quatre langues), notamment au Daily News où elle publia régulièrement des chroniques sur la politique et le mouvement des idées en France. En 1850, elle signait deux volumes : Germania, ouvrage qui « contenait le tableau fidèle de l’Autriche et des cours allemandes à cette époque. » Elle écrivit aussi en anglais différents romans ; l’un d’eux, Love the avenger, obtint un gros succès ; pour la première fois on y vit en Angleterre figurer une courtisane : lord Lytton, ami de l’auteur, en fut choqué, et le lui reprocha.

Sous l’Empire, la maison de Mme Blaze de Bury fut un centre d’opposition et de complots. Lord Brougham, de passage à Paris, y rencontrait Berryer et tous les adversaires du régime. La maîtresse du lieu recevait aussi Ed. Blanc, le père Gratry, Montalembert, Cousin, Villemain (ce dernier en fut éperdument amoureux), Delacroix, Halévy, et la plupart des collaborateurs de la Revue ; Lerminier, Alexis de Saint-Priest, d’Ortigues, de Belmont, Meyerbeer, Mignet, etc..

Plus tard, Mme Blaze de Bury, évoquant ses jeunes années, avouait à son ami le musicien Boïto, que Goethe, leur dieu, l’avait jadis rapprochée de son mari : n’appartenaient-ils pas tous deux à une même religion, celle du grand poète ? Et Boïto : « Votre passé, chère baronne, je l’avais deviné. J’avais tout pressenti ; votre existence, je la savais par cœur. On peut donc vivre dans un poème comme dans une patrie, puisque toute votre vie est dans Faust, et votre destinée aussi, et celle de Blaze de Bury. Très jeune (il) est rivé à sa merveilleuse traduction des deux Faust, vous vous rencontrez chez l’Olympien, vous vous épousez, c’est naturel… »

Ah ! cette Mme Blaze de Bury, je la vois : belle, frémissante, sans cesse agitée, comme le peuplier sous l’orage, l’esprit occupé de mille projets, entreprises de toute sorte ; courtisée et adulée, elle n’a rien de l’héroïne romantique, elle est bien portante, fraîche et rose comme son nom ; elle n’a ni vapeurs, ni crises de nerfs ; elle ignore la chaise-longue : en revanche, elle voyage volontiers, et monte à cheval avec passion. Cette jolie dame a des vertus si viriles, qu’elle écrit à l’un de ses correspondants : « Je veux capitonner la vie des miens, et je désirerais que cette tâche m’incombât seule. » Langage et aspirations peu féminins, on en conviendra. Oui, il est rare de rencontrer une femme à la fois si belle et si fêtée, attirée par des ambitions de