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On peut encore exprimer autrement tout cela. Supposons qu’il y ait exactement 12 kilomètres entre l’observateur d’Auteuil et celui de Charenton. Pendant que le rayon lumineux venu d’Auteuil se propage vers Charenton, Charenton fuit devant lui d’une petite quantité. Par conséquent ce rayon aura parcouru un peu plus de 12 kilomètres avant d’arriver au physicien de Charenton. Il aura au contraire parcouru un peu moins dans le cas contraire.

Or, j’ai expliqué ici même tout récemment, comment, appliquant une belle idée française de Fizeau, le physicien américain Michelson a réussi à mesurer avec une grande précision les longueurs, au moyen des franges d’interférence, et comment toute variation de la longueur mesurée se traduit par un déplacement d’un certain nombre de ces franges que l’on peut voir s’évanouir ou s’élargir et qu’on peut dénombrer facilement.

Imaginons maintenant qu’au lieu d’opérer entre Charenton et Auteuil nos deux physiciens opèrent dans les limites d’un laboratoire. Imaginons qu’ils mesurent au moyen des franges d’interférence l’espace parcouru par un rayon lumineux produit dans ce laboratoire, et selon qu’il s’y propage dans le sens du mouvement de la terre ou dans le sens contraire. Nous aurons ainsi, réduite à ses éléments essentiels, et simplifiée pour la clarté de cet exposé, la célèbre expérience de Michelson. On devrait trouver ainsi une différence facilement mesurable avec l’appareil précis de Michelson.

Eh bien ! pas du tout. Contrairement à toute attente, et à la profonde stupéfaction des physiciens, on a trouvé que la lumière se propage rigoureusement avec la même vitesse lorsque celui qui la reçoit s’éloigne d’elle avec la vitesse de la Terre, ou au contraire lorsqu’il s’en rapproche avec cette vitesse. Conséquence inéluctable : l’éther participe au mouvement de la Terre. Mais nous venons de voir que d’autres expériences non moins précises avaient établi que l’éther ne participe pas au mouvement de la Terre.

C’est de cette contradiction, du choc de ces deux faits inconciliables et pourtant réels, qu’est sortie la splendide synthèse d’Einstein, de même que, fulgurante, l’étincelle jaillit du choc de deux silex heurtés.


Charles Nordmann.