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si l’espace était absolu. Si j’ai raisonné un instant comme eux, c’est pour mieux faire voir que leur façon de voir implique contradiction. »

On peut facilement étendre ce raisonnement de Poincaré. Si tous les objets de l’Univers devenaient par exemple mille fois plus hauts, et mille fois moins larges, nous n’aurions non plus aucun moyen de nous en apercevoir, car nous-mêmes et nos rétines et les mètres dont nous nous servirions pour mesurer les objets, serions déformés en même temps et de même. Bien plus, si tous les objets de l’Univers subissaient une déformation spatiale absolument quelconque, si un génie invisible et tout-puissant le déformait d’une manière quelconque en tirant sur lui comme sur une masse de caoutchouc, nous n’aurions aucun moyen de le savoir. Rien ne prouve mieux que l’espace est relatif, et que nous ne pouvons concevoir l’espace en dehors des objets qui servent à le mesurer. Pas de mètre, pas d’espace.

Poincaré a poussé si loin ses déductions dans ce domaine qu’il en est arrivé à montrer que la rotation même de la terre autour du soleil n’est qu’une hypothèse plus commode que l’hypothèse inverse, mais non point plus vraie, car elle impliquerait sans cela l’existence d’un espace absolu. Certains polémistes peu avertis ont même, — on s’en souvient, — voulu tirer argument de cette démonstration poincariste pour justifier la condamnation de Galilée. Rien de plus amusant que les efforts faits alors par l’illustre mathématicien-philosophe pour se défendre de ce grief, et, ma foi, il faut bien reconnaître que la défense ne fut pas considérée unanimement comme ayant été parfaitement convaincante. C’est qu’on ne fait pas à l’agnosticisme sa part.

Nul donc n’a mieux que Poincaré montré que l’espace n’est rien qu’une propriété que nous donnons aux objets. La notion que nous en avons n’est, si j’ose dire, que la résultante héréditaire des tâtonnements sensuels par quoi nous essayons péniblement d’embrasser le monde extérieur à un moment donné.

Après l’Espace, le Temps. À cet égard aussi les objections du relativisme philosophique étaient depuis longtemps dans l’air. Mais c’est Poincaré qui leur a donné leur forme définitive. Nous ne le suivrons pas dans ses lumineuses démonstrations qui sont bien connues.

Retenons-en seulement que, pour le temps comme pour l’espace, on peut supposer un rétrécissement ou un allongement de l’échelle auquel nous serions tout à fait insensibles et qui suffit à montrer l’impossibilité pour les hommes de concevoir un espace absolu.

Si quelque génie malicieux s’amusait une nuit à rendre mille fois plus lents tous les phénomènes de l’Univers, nous n’aurions aucun