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tration, le mérite d’Einstein ne sera pas diminué, car il est ailleurs, nous le montrerons.

Et maintenant voici comment s’exprimait Henri Poincaré, dont l’enveloppe charnelle a péri, il y a neuf ans déjà, mais dont la pensée continue à dominer étendant chaque jour davantage sur eux ses ailes triomphales, tous les cerveaux qui réfléchissent :

« Il est impossible de se représenter l’espace vide… C’est de là que provient la relativité irréductible de l’espace. Quiconque parle de l’espace absolu emploie un mot vide de sens. Je suis en un point déterminé de Paris, place du Panthéon, par exemple, et je dis : Je reviendrai ici demain. Si on me demande : Entendez-vous que vous reviendrez au même point de l’espace ? je serai tenté de répondre : Oui. Et cependant j’aurai tort, puisque d’ici à demain la Terre aura marché, entraînant avec elle la place du Panthéon, qui aura parcouru plus de 2 millions de kilomètres. Et si je voulais préciser mon langage, je n’y gagnerais rien, puisque ces 2 millions de kilomètres, notre globe les a parcourus dans son mouvement par rapport au soleil, que le soleil se déplace à son tour par rapport à la voie lactée, que la voie lactée elle-même est sans doute en mouvement sans que nous puissions connaître sa vitesse. De sorte que nous ignorons complètement et que nous ignorerons toujours de combien la place du Panthéon se déplace en un jour. En somme, j’ai voulu dire : Demain, je verrai de nouveau le dôme et le fronton du Panthéon, et s’il n’y avait pas de Panthéon, ma phrase n’aurait aucun sens et l’espace s’évanouirait… »

Poincaré complète ainsi sa lumineuse démonstration :

« Supposons que, dans une nuit, toutes les dimensions de l’Univers deviennent mille fois plus grandes : le monde sera resté semblable à lui-même, en donnant au mot de similitude le même sens qu’au troisième livre de géométrie. Seulement, ce qui avait un mètre de long mesurera désormais un kilomètre, ce qui était long d’un millimètre deviendra long d’un mètre. Ce lit où je suis couché, et mon corps lui-même se seront agrandis dans la même proportion. Quand je me réveillerai le lendemain matin, quel sentiment éprouverai-je en présence d’une aussi étonnante transformation ? Eh bien ! je ne m’apercevrai de rien du tout. Les mesures les plus précises seront incapables de me rien révéler de cet immense bouleversement, puisque les mètres dont je me servirai auront varié précisément dans les mêmes proportions que les objets que je chercherais à mesurer. En réalité, ce bouleversement n’existe que pour ceux qui raisonnent comme