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universités, sont fondées entièrement sur ces énoncés, sur ces notions d’un temps et d’un espace absolus, pris en soi et sans relation à aucun objet extérieur, indépendants par leur propre nature.

En un mot, et si j’ose employer cette image, le temps de la science classique était semblable à un fleuve portant les phénomènes ainsi que des navires, mais qui ne s’écoule pas moins et d’un même mouvement quand il n’y a pas de navires pareillement, l’espace était un peu comme la rive de ce fleuve et insensible aux navires qui passent.

Pourtant, dès l’époque de Newton, dès même celle d’Aristote, un métaphysicien un peu réfléchi (malheureusement, les métaphysiciens ne font pas assez de science, comme d’ailleurs les savants pas assez de métaphysique) aurait pu apercevoir qu’il y avait quelque chose de profondément choquant dans ces définitions, dans ces données. Le Temps absolu, l’Espace absolu, ce sont de ces « choses en soi » que l’esprit humain a de tout temps considérées comme lui étant directement inaccessibles. Les spécifications d’espace et de temps, ces étiquettes numérotées que nous attachons aux choses du monde extérieur, ainsi qu’on fait dans les gares aux colis pour ne les point perdre (… et la précaution n’est pas toujours suffisante), ces données ne nous sont fournies par nos sens, armés ou non d’instruments, qu’à l’occasion d’impressions concrètes. En aurions-nous la notion en l’absence d’objets attachés à ces données, ou plutôt auxquels nous attachons ces données ? L’affirmer comme font Aristote, Newton, la science classique, c’est faire une supposition bien audacieuse, et nullement fondée. Le seul temps dont nous ayons la notion, en dehors de tout objet, est le temps psychologique si lumineusement scruté par M. Bergson, et qui n’a aucun rapport, que son nom, avec le temps des physiciens, de la science. Quant à l’espace, c’est bien pis encore, et nous n’avons pas même la possibilité de concevoir un espace démuni d’objets.

C’est en réalité Henri Poincaré, ce grand Français dont la disparition laisse un vide qui ne sera jamais comblé, qui a le mérite d’avoir, avec la plus grande netteté et la plus intelligente hardiesse, montré et démontré que le temps et l’espace, tels qu’ils nous sont donnés, ne peuvent être que relatifs.

Quelques textes ici ne seront pas inutiles ; ils montreront que c’est Henri Poincaré qui a vraiment le mérite de la plupart des choses qu’on attribue dans le public couramment à Einstein, ainsi que le prouve la citation que nous avons faite ci-dessus. De cette démons-