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ne s’est pas bornée l’action de son profond génie. Si elle n’était que cela, elle n’eût été que négative. Après avoir démoli, après avoir déblayé l’édifice de nos connaissances de ce qu’on croyait en être la muraille inébranlable et qui n’était qu’un échafaudage fragile en masquant les harmonieuses proportions, il a reconstruit, il a creusé dans le monument de vastes fenêtres qui permettent maintenant de jeter un regard émerveillé sur les trésors qu’il recèle. En un mot, Einstein a d’une part montré avec une acuité et une profondeur étonnantes que la base de nos connaissances n’était pas ce qu’on a cru et doit être refaite avec un nouveau ciment. D’autre part, il a, sur cette base, renouvelé, rebâti l’édifice démoli dans ses fondements mêmes, et lui a donné une forme hardie dont la beauté et l’unité n’avaient point encore été égalées.

Il me reste maintenant à tâcher de préciser d’une manière concrète et aussi exacte que possible ces généralités. Mais je voudrais aujourd’hui insister surtout sur un point qui a une importance considérable : c’est que si Einstein s’était borné à la première partie, — telle que je viens de la définir un peu arbitrairement, — de son œuvre, celle qui renverse les notions classiques de temps et d’espace, il n’aurait point, dans le monde de la pensée, la gloire qui, dès maintenant, auréole son nom. La chose est d’importance, car la plupart de ceux qui, — en dehors des spécialistes purs, ont écrit sur Einstein, ont insisté surtout, et souvent exclusivement, sur ce côté en quelque sorte « démolisseur » de son intervention. Or, je me propose de montrer aujourd’hui, avec l’espoir de porter quelque clarté dans tout cela, qu’à ce point de vue, Einstein n’a pas été le premier ni le seul, qu’il n’a fait qu’aiguiser davantage et enfoncer un peu plus, entre les blocs mal joints de la science classique, le burin que d’autres avant lui, et surtout le grand Henri Poincaré, y avaient dès longtemps porté. Ceci fait, il me restera à expliquer, si je puis, le grand, l’immortel titre d’Einstein à la reconnaissance des hommes, qui est, sur cette œuvre critique dont il partage l’honneur avec d’autres, d’avoir reconstruit, réédifié par ses propres forces quelque chose de magnifique et de neuf : et ici, sa gloire est sans partage.

Il y a quelques jours, s’essayant à discuter sur Einstein, après beaucoup d’autres qui n’y ont point les titres que lui confère sa haute et charmante culture, M. Alfred Capus a écrit un « Monologue de Einstein » [1], où se trouve esquissé avec beaucoup d’art ce qu’on

  1. Le Gaulois, 28 juillet 1921.