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suivies qu’on nous permettra de ne point reprendre ici. Les vérités géométriques, les découvertes scientifiques ont une valeur intrinsèque qui doit être jugée et pesée objectivement, quelle que soit la personnalité de celui qui les a trouvées. Pythagore eût-il été le dernier des criminels et des malhonnêtes gens, cela n’enlèverait rien à la validité du carré de l’hypothénuse. Un théorème est vrai ou faux, que le nez de son auteur ait la ligne aquiline des fils de Sem, camuse de ceux de Cham ou rectiligne de ceux de Japhet. Est-ce vraiment un signe que l’humanité est de plus en plus asymptote à la perfection que d’entendre dire quelquefois : « Dis-moi quel temple tu fréquentes et je te dirai si ta géométrie est juste. ? » Passons.

Toutes nos notions, toute la science, toute la vie pratique elle-même sont fondées sur la représentation que nous nous faisons des aspects successifs des choses. Notre esprit, aidé par nos sens, classe avant tout celles-ci dans le temps et dans l’espace, qui sont ainsi les deux cadres où nous fixons d’abord tout ce qui nous est sensible dans le monde extérieur. Écrivons-nous une lettre : nous mettons en suscription le lieu et la date. Ouvrons-nous un journal : ce sont ces indications qui y précèdent toutes les dépêches. Il en est de même en tout et pour tout. Le temps et l’espace, la situation des choses et leur époque apparaissent ainsi comme les piliers jumeaux de toute connaissance, les deux colonnes sur lesquelles repose tout l’édifice de l’entendement humain.

Leconte de Lisle l’a bien senti lorsqu’avec sa profonde et philosophique intelligence il écrivait, s’adressant pathétiquement à la divine mort :


Délivre-nous du temps, du nombre et de l’espace,
Et rends-nous le repos que la vie a troublé.


Le nombre n’est ici que pour définir quantitativement le temps et l’espace, et Leconte de Lisle a bien exprimé dans ces vers magnifiques et célèbres que tout ce qui existe pour nous dans le vaste monde, tout ce que nous y savons, voyons, tout l’ineffable et trouble écoulement des phénomènes ne prend pour nous un aspect défini, une forme précise qu’après avoir traversé ces deux filtres superposés que notre entendement interpose : le temps et l’espace.

Ce qui donne aux travaux d’Einstein leur importance, c’est qu’il a montré, comme nous allons voir, que l’idée que nous nous faisions du temps et de l’espace doit être complètement révisée, et que par suite la science tout entière, — et avec elle la psychologie, — doit être refondue. Telle est la première partie de l’œuvre d’Einstein. Mais là