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Mais, le 13 juillet, il écrit : « Les têtes paraissent se monter de toutes parts. L’approche des armées étrangères fait lever le caquet à bien du monde qui ne disait mot ci-devant. » Et, un mois après, nous lisons, au lieu de sa tranquille calligraphie habituelle, des pages fébriles de sa fille racontant, à sa place, avec une joie sauvage, avec le soulagement d’une délivrance, la journée sanglante du 10 août, à laquelle il a pris part, l’installation de la Commune révolutionnaire à l’Hôtel de Ville, le conflit de ce gouvernement insurgé avec le pouvoir régulier, le massacre des Suisses et enfin l’élection de son père comme officier municipal.

Cette lettre est particulièrement savoureuse quand on se souvient qu’elle a été écrite par « la bonne et douce Adélaïde » et quand on la lit dans le chaos du manuscrit, racontant pêle-mêle les nouvelles de la bataille, à mesure qu’elles arrivent, en y intercalant les événements de famille qui continuent malgré tout, le mariage d’une cousine, son déjeuner dinatoire auquel on ne sait si l’on sera invité, etc.. Évidemment, le jacobinisme de cette jeune fille est fermement convaincu que « les honnêtes gens » ont échappé à un grand danger, qu’ils allaient être tous massacrés par les royalistes. Cette façon d’envisager les événements est imprévue pour nous ; mais elle éclaire curieusement la psychologie d’une époque que nous sentons aujourd’hui plus que jamais « actuelle. » Il est toujours facile de comprendre comment des incendies, des vols et des assassinats peuvent être commis par des gredins ; il est beaucoup plus instructif de se rendre compte comment l’envolée des fausses nouvelles, la fantaisie habituelle des idées économiques populaires, la disette et la vie chère, enfin la déviation des meilleurs sentiments mêlés aux craintes les plus légitimes peuvent amener de paisibles bourgeois à devenir les complices de bourreaux sanglants. L’expérience prouve assez que les insurrections démagogiques réussissent généralement d’abord parce que des bourgeois y applaudissent et les dirigent.

Je n’ai pas à retracer les événements du 10 août ; j’en rappelle seulement ce qui est nécessaire à la clarté de notre récit. Nous venons de voir comment, en 1792, les royalistes relevaient la tête et comment, dès le début de juillet, les deux partis se préparaient à une lutte suprême. Ce fut cette bataille qui entraîna, par un jeu d’engrenages presque fatal, l’installation