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de la suite, il est bon de remarquer combien, au début de 1792, la foi révolutionnaire avait tiédi. Voici des passages d’une lettre du 17 janvier 1792 : « ... La ville est remplie d’une très nombreuse compagnie de filous ; l’on vole dans les rues et dans les maisons à chaque heure du jour... Quoi qu’il en soit, le Parisien aime la joie et tout passe comme le temps. Les uns pensent creux et réfléchissent ; les autres ne pensent qu’à se réjouir ; d’autres attendent avec patience pour se décider sur le parti qu’ils prendront ; les autres désirent une affaire sérieuse pour voir terminer les inquiétudes dans lesquelles la majeure partie des honnêtes citoyens se trouvent. Les égoïstes ne pensent qu’à eux, mais ils payent l’or et l’argent bien cher... L’on ne voit pas d’argent... Les terres se vendent à des prix fous... » Quelques jours après, le frère de Strasbourg raconte qu’au théâtre un cri universel de : « Vive le Roi ! » a remplacé celui de : « Vive la Nation !... »

Souvenons-nous comment cette réaction royaliste, dont nous rencontrons ici la trace, contribua à la guerre étrangère, qui, faisant diversion, rassembla la plupart des Français dans un même sentiment de révolte. A tous les vrais patriotes se joignirent alors ceux qui crurent menacés et remis en cause les avantages matériels tirés par eux de la Révolution. La haine engendra la haine ; la crainte de la trahison fît voir des traîtres partout ; on emprisonna les suspects et l’on s’imagina que les prisonniers rassemblés conspiraient ; la justice régulière parut trop lente devant les progrès de l’ennemi et l’on massacra moins par férocité que par instinct de défense. Le jeu sanglant de la Terreur s’engagea comme une partie où l’on jetait bas la tète du voisin pour essayer de sauver la sienne. C’est au début de cette phase nouvelle que notre miroitier directeur de théâtre fut, comme nous allons le voir, improvisé homme politique dans le gouvernement de Marat et de Danton.


Le 14 mai 1792, il se montrait encore bien tiède, étant donné surtout son caractère optimiste : « Nous ne parlerons point des affaires de France ; elles vont leur train, critiquées par les uns, approuvées par les autres ; l’homme sage garde le silence en attendant les événements. La guerre étant déclarée, le sort des armes peut amener bien des changements. »