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pleurs caractérisent les hommes de ce temps, où chacun était plus ou moins façonné à l’image de Rousseau, sinon modelé par Rousseau lui-même. Jamais on ne fut plus « sensible » et on ne pleura davantage par attendrissement, joie ou pitié, que dans ces années où les têtes tenaient si mal sur les épaules et où il paraissait tout simple d’arracher le cœur d’un adversaire pour le promener au bout d’une pique.

Sur la nuit du 4 au 5 août, Mareux n’est pas moins lyrique et marque un crescendo d’admiration qui va continuer longtemps : « Désormais, il n’existe plus que des citoyens libres et tous égaux. Le simple citoyen jouit de toutes les dignités et grandeurs, soit dans l’église, dans les armées, à la cour, dans la robe, etc.. Les vertus et les talents conduiront à tout. Cette journée a été et sera toujours remarquable, et même au-dessus de celle de la prise de la Bastille... » On ne peut vraiment reprocher aux contemporains de la Révolution d’en avoir méconnu la grandeur. Ne serions-nous pas en droit de faire remonter jusqu’à eux cette vaste entreprise de publicité, par laquelle on a si bien réussi à convaincre le peuple français que son histoire a commencé en 1789 et que jamais le soleil n’avait osé briller pour lui auparavant ?

D’ailleurs, il va sans dire que, si les événements ont un contre-coup sur la disette par laquelle ils ont été provoqués, c’est pour la rendre plus complète. Le 21 août, nous lisons : « Les vivres manquent au point que les boulangers sont assaillis. Depuis le matin, ils ont chez eux un peuple immense qui attend que le pain soit cuit... Ce pain est très mauvais depuis quelques jours. Ce sont des farines que les malheureux accapareurs aimaient mieux laisser gâter que de se faire connaître pour des traîtres à la patrie... Dans les provinces, on a eu beaucoup d’erreur par des gens mal intentionnés qui étaient payés pour semer l’alarme... Je suis témoin de l’amitié et de l’amour du peuple pour le Roi et sûrement il est bien aimé et il mérite de l’être... Le commerce est bien languissant. Il faut attendre la fin des troubles et de nouvelles lois ; cela demande encore du temps... »

La journée du 5 octobre, où le Roi fut ramené de force à Paris et devint le prisonnier du peuple, est longuement racontée avec cette conclusion : « Tu peux bien juger que le parti des princes fugitifs et de la Reine n’est pas éteint... Ainsi le dessein