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héros. D’une manière générale, on peut dire que toutes les mesures législatives, quelles qu’elles soient, comblent Toussaint Mareux de joie et que les violences lui paraissent des incidents tout simples, sans importance, applicables à une catégorie de gens très lointaine, à laquelle il ne s’intéresse pas. Contre les aristocrates, les émigrés, etc., le sentiment qui domine du premier au dernier jour est celui de la légitime défense. Ainsi les massacres de septembre seront, pour lui, le salut des Parisiens que les prisonniers se proposaient d’exterminer.

Au début cependant, son premier mouvement presque instinctif est la réprobation pour des émeutes dont il ne prévoit pas encore l’importance politique. Les vauriens qui, les 27 et 28 avril 1789, pillent les magasins de l’industriel Réveillon, sont par lui traités nettement de bandits. Mais il ne se passe pas trois mois avant que les émules de ces bandits soient excusés, puis glorifiés. Chacun se rappelle le rôle joué par la disette dans les débuts de la Révolution. Les Mareux ne sont pas assez du peuple pour manquer de pain, mais ils vivent au milieu de ce peuple, entendent ses plaintes et acceptent, avec la même naïveté que lui, l’explication de ses misères en les attribuant aux « Accapareurs. »

Les Accapareurs et les Agioteurs, ce sont des appellations qui soulèvent toujours mécaniquement une foule et qui la dispensent de tout raisonnement économique. Supposer que les prix du blé ou de la viande montent parce que ces marchandises deviennent rares ou sont plus demandées, parce que les transports se font mal, parce que le papier-monnaie avec lequel on les paye est discrédité, cela constitue des explications trop difficiles à comprendre et à suivre dans leurs applications journalières. N’est-il pas plus simple d’imaginer des spéculations odieuses : ce qui permet de se venger sur quelqu’un et de se soulager la bile ?... Le pain manque, il est de mauvaise qualité. Alors les femmes arrêtent les charrettes de farine et les jettent dans la Seine ; et tous les Mareux d’applaudir. Immédiatement, ils s’imaginent que la disette va disparaitre. Le lendemain, elle ne fait que croître. Comment cela peut-il s’expliquer ? Le peuple souverain n’a-t-il pas témoigné sa volonté formelle que les farines soient abondantes ? Le gouvernement même n’a-t-il pas donné des ordres à ce sujet ? Il y a donc là-dessous un complot manifeste des aristocrates !... « Le monopole, nous dit