Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/912

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de laquelle brille la miroiterie, qui cause avec les voisins et s’informe, qui donne son opinion renseignée sur les faits du jour, écoute et discute les réponses, puis revient à son bureau écrire longuement, tranquillement ce qu’il a entendu et compris. Les événements l’amusent, quels qu’ils soient, par cela seul que ce sont des événements. Il ne les prend jamais trop au tragique, il est surtout occupé de les observer et de les décrire. Dans la grande détresse personnelle que va provoquer pour lui la Révolution en paralysant son théâtre et restreignant son commerce, il demeure toujours convaincu qu’on est à la veille d’un événement heureux. « Ce qu’il doit en advenir, le temps nous l’apprendra, » telle est sa conclusion favorite. Mais il résout d’avance le problème dans le sens le plus favorable. Toute son attitude, tous ses états d’àme font le contraste le plus plaisant avec le milieu où nous allons le voir fonctionner comme juge d’un tribunal révolutionnaire C’est le type du « bon papa, » qui consulte ses enfants avant d’agir et qui admet leurs remontrances sur ses imprudences spéculatives ou s*ur ses prodigalités ; rien chez lui de commun avec le farouche sectaire que l’on pourrait être tenté d’imaginer d’après la place qu’il a occupée dans le groupe dirigé par Robespierre et Danton, ni même d’après certaines professions de foi momentanées un peu trop jacobines. L’intérêt possible de notre étude va être de montrer comment s’est opéré le glissement progressif entre ces deux mentalités qui, envisagées dans leurs termes extrêmes, apparaissent si dissemblables. Le cas que nous rencontrons là est fréquent, en effet, et, dans les périodes de crise, nombreux sont ceux qui regarderaient avec stupéfaction leur propre figure si, par quelque miroir magique, on pouvait la leur faire voir, à quatre ou cinq ans de distance, avant ou après.


Nous venons d’indiquer le point de départ. Résumons brièvement les étapes successives qui ont préparé les journées critiques d’août à décembre 1792, les seules sur lesquelles ici nous nous proposions d’insister. Nous le ferons, non pour raconter des événements qui sont assez connus par ailleurs, mais pour indiquer la manière dont les ont envisagés, sur le moment, un très grand nombre de Parisiens semblables à notre