Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 64.djvu/908

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attentifs et auquel ils applaudissent avec une foi religieuse. En définitive, ils y ont trouvé la ruine ; mais ils sont toujours restés convaincus qu’ils étaient à la veille d’y réaliser le bonheur ; et, quoique bons royalistes au début, ils avaient personnellement trop pâti du système ancien pour le regretter. Nous avons là, si l’on veut, l’histoire de la Révolution racontée chaque matin par « Monsieur N’importe qui. » De tous les événements il peut dire : « J’y étais ; j’y ai pris part, » mais son seul désir est de fixer le plus exactement possible, sans la moindre intention de publicité, ce qu’il a vu ou cru voir, ce qu’il a éprouvé, entendu et compris. La déformation même qu’ont subie les nouvelles et les opinions en des esprits honnêtes, surexcités par ce qu’on pourrait appeler la fièvre obsidionale, éclaire pour nous la psychologie de ces foules anonymes qui exercent une poussée si irrésistible, si décisive et, en même temps, si irraisonnée dans les périodes de crise : à ces moments où les grands acteurs du drame, en évidence sur le devant de la scène, perdent, sans l’avouer, la direction de ceux qu’ils s’imaginent conduire.

Présentons rapidement nos personnages tels qu’ils nous apparaissent à l’aube de la Révolution, afin d’apprécier à sa juste valeur l’évolution qui, d’un brave bourgeois travailleur, a fait, en 1792, un membre de la Commune, un admirateur de Danton, Robespierre et Marat et l’a conduit un moment à envisager les massacres de septembre comme le salut de son pays. Dans les troupes révolutionnaires, on rencontre, mêlés et confondus, des éléments très divers : des profiteurs et des convaincus, des violents et des peureux, des égoïstes et des patriotes, des optimistes qui pensent contribuer au salut de l’humanité et des nihilistes qui veulent anéantir une civilisation exécrée. Le mouvement le plus désordonné embrigade des hommes réglés, qui ne sauraient se désaccoutumer d’aller chaque matin à leur bureau et qui, pour quelques émoluments ou pour quelque honneur, y maintiennent des principes d’administration empruntés au régime déchu. Notre « communard » de 1792 fut un de ces bureaucrates aisément satisfaits, et nous le verrons, pour le plaisir de signer « officier municipal, » dresser l’inventaire des objets trouvés sur la princesse de Lamballe massacrée, aussi tranquillement qu’il eût enregistré le plus banal acte d’état civil.