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Mme de La Sablière furent sans doute les plus douces et les plus fécondes de sa vie.


V. — LE ROMAN ET LA CONVERSION DE M, M DE LA SABLIERE

On sait comment finirent ces beaux jours. Mme de La Sablière était entourée de jeunes écervelés : Brancas, Rochefort, Lauzun, le marquis de La Fare. Ce dernier se fit aimer, follement aimer. Il avait trente-deux ans, elle en avait trente-six. La Fare s’était distingué aux armées ; il était guidon dans la compagnie des gendarmes du Dauphin. Homme de cour et homme de débauche, il avait d’abord courtisé Mme de Montespan ; mais ayant appris qu’il chassait sur les terres du Roi : « Je me retirai, dit-il, en bon ordre, et les autres firent comme moi. » Puis il s’était attaqué à la marquise de Rochefort, ce qui lui avait attiré la haine de Louvois : il ne lui restait plus qu’à vendre sa charge. Il se consacra alors à sa nouvelle maîtresse. Dans les salons et les ruelles de Paris, on célébra le parfait amour de La Fare et de Mme de La Sablière. Mais La Fare était volage et joueur. Il allait chez la Champmeslé : La Fontaine l’y rencontrait. Il était aussi l’amant d’une fille d’opéra, Louison, sœur de Fanchon, qui était la maîtresse du grand-prieur de Vendôme. Cependant la plus redoutable des rivales de Mme de La Sablière, c’était la bassette, le jeu qui faisait alors fureur. Mme de Sévigné a conté les angoisses et les amertumes de la rupture.


C’est pour cette prostituée de bassette qu’il a quitté cette religieuse adoration... Elle regarda d’abord cette distraction, cette désertion ; elle examina les mauvaises excuses, les raisons peu sincères, les prétextes, les justifications embarrassées, les conversations peu naturelles, les impatiences de sortir de chez elle, les voyages à Saint-Germain où il jouait, les ennuis, les ne savoir plus que dire ; enfin, quand elle eut bien observé cette éclipse qui se faisait et le corps étranger qui cachait peu à peu tout cet amour brillant, elle prend sa résolution : je ne sais ce qu’elle lui a coûté ; mais enfin, sans querelle, sans reproche, sans éclat, sans le chasser, sans éclaircissement, sans vouloir le confondre, elle s’est éclipsée elle-même ; et, sans avoir quitté sa maison où elle retourne encore quelquefois, sans avoir dit qu’elle renonçait à tout, elle se trouve si bien aux Incurables, qu’elle y passe quasi toute sa vie, sentant avec plaisir que son mal n’était pas comme celui des malades qu’elle sert [1]...

  1. Lettres de Mme de Sévigné, 14 juillet 1680.