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de 1678-1679 : les Animaux malades de la peste ; la Laitière et le Pot au lait ; le Chat, la Belette et le petit Lapin ; la Mort et le Mourant ; le Savetier et le Financier ; le Chien qui porte au cou le dîner de son maître ; les Obsèques de la Lionne ; les Deux Pigeons ; le Paysan du Danube, pour ne citer que les plus célèbres. Alors le génie apparaît en sa magnifique plénitude. Dans les six premiers livres, l’apologue était encore parfois un peu sec, un peu grêle. Maintenant, renouvelé par un grand afflux de poésie, il s’amplifie jusqu’à devenir véritablement « la comédie à cent actes divers. » Son cadre est plus large, sa forme plus souple. Tout est vivifié par une miraculeuse variété de rythmes que ne connaîtra plus jamais la poésie française. La Fontaine savait bien le prix de ses trouvailles, car en publiant ces nouvelles fables et en les comparant aux précédentes, il disait avoir « cherché d’autres enrichissements et étendu davantage les circonstances de ces récits. » Ces enrichissements, il les devait d’abord aux méditations et aux rêveries qui, après bien des essais, bien des incertitudes, — il approchait alors de la soixantaine, — lui avaient révélé les ressources et le pouvoir de son art ; il les devait aussi pour une part à Mme de La Sablière et à ses amis.

Tandis qu’il écoutait disserter les philosophes et les savants, son esprit s’ouvrait à des curiosités nouvelles. Il voyait chaque jour Bernier, qui logeait comme lui chez Mme de La Sablière. Ce grand voyageur avait, pendant quinze ans, parcouru tout l’Orient. Il contait ses voyages à La Fontaine, et l’imagination de son auditeur le suivait en Turquie, au Grand Mogol, à Surate, au Japon. Croit-on que les entretiens de Bernier ne soient pour rien dans le Bassa et le Marchand, dans les Deux Amis, dans l’Homme qui court après la fortune et V Homme qui l’attend dans son lit, et dans bien d’autres fables ? Le même Bernier, que Saint-Evremond appelait le « joli philosophe, » rédigea aussi pour Mme de La Sablière un Abrégé de Gassendi. La Fontaine ne fut jamais l’homme des spéculations métaphysiques ; mais parmi tous ces cartésiens et toutes ces cartésiennes il ne pouvait demeurer étranger à la controverse. Voilà le secret de ses fables philosophiques, comme Un animal dans la lune, Démocrite et les Abderitains, les Lapins, le Discours à Mme de la Sablière qui précède les Deux Bats, le Renard et l’Œuf. Les huit premières années que La Fontaine passa chez