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à La Fontaine d’imiter Boccace, — son goût et ses mœurs n’étaient pas tellement austères ! — que de son côté la duchesse de Bouillon avait trop d’esprit, pour être insensible au charme des fables ; et que, d’ailleurs, on ne sait au juste laquelle de ces deux dames appela si gentiment le poète un fablier, c’est-à-dire un être qui faisait des fables, comme un pommier produit des pommes. On objecterait encore que La Fontaine ne connaissait pas la duchesse de Bouillon quand il fit ses premiers contes, et que rien ne prouve qu’il connaissait Mme de La Sablière quand il publia les six premiers livres de ses fables. N’importe : l’allégorie n’en contiendrait pas moins quelque vérité. Les deux genres sont bien représentés sous les traits des deux amies de La Fontaine.

Vous connaissez la Muse du Conte, voici celle de la Fable :


Elle était d’une taille médiocre, mais aisée et tout à fait proportionnée. Elle avait des cheveux d’un blond cendré, le plus beau qu’on puisse imaginer ; les yeux bleus, doux, fins et brillants, quoiqu’ils ne fussent pas des plus grands ; le tour du visage ovale ; le teint vif et uni ; la peau d’une blancheur à éblouir ; les plus belles mains et la plus belle gorge du monde. Joignez à tout cela un certain air touchant de douceur et d’enjouement, répandu sur toute sa personne...


Ce portrait, publié dans le Mercure galant de juillet 1678 sans nom d’auteur et adressé à Mme D. L. S., est, à n’en pas douter, celui de Mme de La Sablière. L’on a supposé avec vraisemblance qu’il était de la plume de La Fontaine lui-même. Quoi qu’il en soit, peut-on concevoir plus charmante et plus parfaite image de la Fable, telle qu’elle est sortie du cerveau de notre poète ?

Marguerite Hessein (ou Hessin) avait épousé le fils d’un riche financier, Antoine Rambouillet de La Sablière. Celui-ci, homme d’esprit, rimait à ses heures, et Conrart l’appelait le grand madrigalier français. Il possédait à Reuilly une belle maison, la Folie Rambouillet, célèbre par ses jardins, ses potagers et la vue merveilleuse qu’elle offrait de ses terrasses sur la vallée de la Seine. C’était un homme de plaisir, un des amants par quartier de Ninon. Il avait, dit-on, épousé Mlle Hessein pour se consoler d’avoir été abandonné par sa belle et scrupuleuse maîtresse, Mme Le Taneur. Il trompa sa femme, probablement ; elle se vengea, peut-être. Bref, les deux époux se séparèrent de