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qui, la même année, obtenait du Roi, en échange de la principauté de Sedan, le duché de Château-Thierry, celui d’Albret et et les comtés d’Auvergne et d’Evreux. Ce fut alors, en 1662, qu’en sa qualité de seigneur de Château-Thierry, le duc reçut de La Fontaine cette charmante épitre où l’écuyer malgré lui narrait ses tribulations et suppliait son maître d’intercéder en sa faveur auprès de Colbert.

Peu de temps après son mariage, Bouillon s’en alla guerroyer contre les Turcs, et sa femme s’en fut demeurer à Château-Thierry dans le vieux château dont les remparts dominent encore la ville. Des fenêtres de son habitation la vue s’étendait au loin sur les coteaux de la vallée et les douces sinuosités de la Marne, spectacle enchanteur, mais qui ne suffisait pas sans doute à divertir la jeune et vive Italienne. Aussi quelle joie, pour cette rimeuse infatigable, de découvrir dans le maître des eaux et forêts de son duché un poète fort propre à égayer les loisirs d’une jeune femme sans bégueulerie ! La Fontaine lui voua une affection qui jamais ne se démentit ; il y mêla un grain de tendresse : il ne pouvait, du moins en vers, parler à une femme sans se croire amoureux. Quand le duc revint de la guerre, La Fontaine continua de fréquenter à l’hôtel de Bouillon, rue des Petits-Champs, et plus tard dans la magnifique maison du quai Malaquais que la duchesse avait achetée au financier La Basinière et dont Mansart avait exécuté la construction, Le Brun les peintures et Le Nôtre les parterres.

En dédiant Psyché à la duchesse de Bouillon sur un ton cérémonieux qui bientôt fera place à la plus galante familiarité, La Fontaine parlait des « grâces » dont le duc l’avait comblé. Quelles étaient ces « grâces ? » On n’est pas là-dessus très bien renseigné. Quelle que fût la dette, La Fontaine l’a généreusement payée. Il l’a payée surtout à la duchesse ; mais le duc n’était pas jaloux : on a même dit « qu’il ne s’inquiétait pas des autres, pourvu qu’il eût sa part. » Il passait son temps à chasser dans les giboyeuses forêts des environs de Château-Thierry. D’ailleurs, eût-il été d’humeur moins accommodante, ce n’est pas du poète qu’il aurait dû prendre ombrage.

On les connaît, les vers charmants où La Fontaine a tracé le portrait de son amie :


Peut-on s’ennuyer en des lieux
Honorés par les pas, éclairés par les yeux