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légende : il en avait déjà composé quelques-uns avant de rencontrer la duchesse ; mais ce fut surtout chez elle qu’il put se croire autorisé à « entretenir les gens d’aujourd’hui de contes un peu libres. »

Des cinq nièces de Mazarin, Marie-Anne était la plus jeune. Elle n’avait pas sept ans lorsque le cardinal la fit venir en France. Par sa frimousse, sa verve, son jargon mêlé de français et d’italien, elle divertit la Reine et la Cour. Un jour son oncle lui fit ce que sa sœur Hortense appelle, dans ses Mémoires, « une plaisante galanterie. » L’historiette est un peu scabreuse, mais il est bon de savoir comment fut élevée la future duchesse de Bouillon.


Un jour, chez la Reine, Mazarin s’amusait à railler Marianne sur quelque galant qu’il prétendait qu’elle avait : il s’avisa à la fin de lui reprocher qu’elle était grosse. Le ressentiment qu’elle en témoigna la divertit si fort qu’on résolut de continuer à le lui dire. On lui rétrécissait ses habits de temps en temps, et on lui faisait accroire que c’était elle qui avait grossi. Cela dura autant qu’il fallait pour lui faire paraître la chose vraisemblable, mais elle n’en voulut rien croire et s’en défendit toujours avec beaucoup d’aigreur, quand un beau matin elle trouva un petit enfant entre ses draps. On ne saurait croire son étonnement et sa désolation à cette vue, puis tout à coup, elle s’écria : « Il n’y a donc qu’à la Vierge et moi à qui cela soit arrivé, car je n’ai point du tout eu de mal. » La Reine la vint consoler et voulut être marraine, ce dont le petit enfant se trouva fort bien ; toute la Cour vint se réjouir avec l’accouchée, qui finit par être fort contente ; on la pressa fort de nommer le père de l’enfant, et elle répondit d’un air mystérieux : « Ce ne peut être que le Roi ou le comte de Guiche, parce qu’il n’y a qu’eux qui m’aient baisée. »


L’année suivante, la petite écrivait à son oncle des lettres rimées qui faisaient la joie des courtisans.

Un peu plus tard, — elle avait dix ans, — elle fut témoin de la romanesque aventure de sa sœur Marie, amoureuse du jeune roi. Hortense et elle accompagnèrent l’exilée à la Rochelle, puis à Brouage. Dans ce triste séjour, elle se distrayait en jouant à la poupée et en versifiant sans relâche des épitres à son oncle. Cependant elle était trop précoce pour ne pas deviner quelque chose de la tragédie qui se jouait auprès d’elle : son éducation sentimentale commença de bonne heure.

À treize ans, elle épousa Godefroy-Maurice, duc de Bouillon,