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Les mères, les maris me prendront aux cheveux
Pour dix ou douze contes bleus !
Voyez un peu la belle affaire !
Ce que je n’ai pas l’ait, mon livre iroit le faire ?
Beau sexe, vous pouvez le lire en sûreté.


A plusieurs reprises, il promit de ne plus écrire de contes : toujours il viola son serment. C’est qu’au fond, et de la meilleure foi du monde, il ne conçut jamais le danger de ces récits licencieux. Tant de naïveté nous surprend un peu : pour nous, l’ingéniosité raffinée avec laquelle il se sauve de l’obscénité par la gravelure, aggrave encore le scandale des Contes. Nul n’oserait maintenant lire à haute voix devant d’honnêtes femmes tel ou tel de ces petits poèmes. Qu’on appelle ce sentiment pudeur ou pruderie, il est aujourd’hui général : il était rare au temps où parurent les Contes, et nous tenons ici le meilleur argument que La Fontaine ait pu invoquer.

Il l’a invoqué dans son apologie, lorsqu’il a fait cette remarque : « Ce n’est pas une faute de jugement que d’entretenir les gens d’aujourd’hui de contes un peu libres. » Non, ce n’était pas une faute de jugement. Quand Boileau montrait les agréments de Joconde, il ne disait rien du caractère licencieux de cette nouvelle. Quand Chapelain recevait le premier recueil de Contes, il félicitait l’auteur, et lui écrivait qu’à sa place « il se délasserait quelquefois de ses études graves entre les bras des muses gaillardes qui le traitaient si favorablement. » Relisez les lettres de Mme de Sévigné : vous verrez sur quel ton elle parle des Oies de frère Philippe, des Rémois, du Petit Chien, et de quel cœur elle loue Bussy d’avoir pris la défense de La Fontaine contre Furetière. D’ailleurs, les premiers Contes avaient paru en 1664 : c’était seulement onze ans plus tard qu’une sentence de police les venait interdire. Le jour où l’Académie délibéra sur la candidature de La Fontaine, l’un des académiciens. Rose, secrétaire du Roi, jeta sur la table des séances un exemplaire des Contes : l’Académie n’en élut pas moins La Fontaine à l’unanimité.


II. — LA DUCHESSE DE BOUILLON

Veut-on savoir dans quel climat propice fleurirent les Contes, il faut suivre le conteur chez la duchesse de Rouillon. On a dit que celle-ci lui avait inspiré la pensée d’écrire ces récits. Pure