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IV. — DEUX AMIES DE LA FONTAINE :
A DUCHESSE DE BOUILLON ET MADAME DE LA SABLIÈRE


I. — LES CONTES

Les Contes de La Fontaine sont, dit Ferdinand Brunetière, « un mauvais livre, à garder sous clef dans les bibliothèques. » Soit ! encore que cette condamnation atteigne quelques nouvelles charmantes et point licencieuses, comme Belphégor, la Matrone d’Éphèse, le Faucon, qui est assurément un des ouvrages les plus délicats de La Fontaine. D’ailleurs, je me réserve d’entr’ouvrir parfois le volume interdit pour recueillir ce que le conteur y a dit de lui-même chemin faisant.

La Fontaine s’est efforcé de répondre aux reproches que certaines personnes lui adressaient au sujet de ses Contes. En tête eu second recueil des Contes et Nouvelles, il a, en parfait dialecticien, discuté avec ses censeurs : pour avoir dans sa jeunesse fréquenté des théologiens à l’Oratoire et des jurisconsultes lu Palais, il avait gardé l’habitude d’argumenter dans les règles. Dans cette plaidoirie, il démontre point par point qu’il n’a ni blessé la bienséance, puisqu’il n’a fait que se conformer aux lois du genre, ni offensé la morale, car la gaîté de ses contes ne saurait faire impression sur les âmes : « elle passe légèrement. » Il craindrait plutôt « une douce mélancolie où les romans les plus chastes et les plus modestes sont très capables de nous plonger, et qui est une grande préparation à l’amour. » Éternel argument des réalistes contre la littérature romanesque. On l’a aussi accusé « d’avoir fait tort aux femmes : » à quoi il riposte, goguenard, qu’il ne faut pas avoir peur « que les mariages ne soient à l’avenir moins fréquents et les maris plus fort sur leurs gardes. » Enfin, un autre jour, il ajoutera, cette fois en vers et en vers exquis :


J’ai servi des beautés de toute » les façons :
Qu’ai-je gagné ? Très peu de chose,
Rien. Je m’aviserois sur le tard d’être cause
Que la moindre de vous commît le moindre mal !
Contons, mais contons bien : c’est le point principal ;
C’est tout ; à cela près, censeurs, je vous conseille
De dormir, comme moi, sur l’une et l’autre oreille.
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