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Est-il quelqu’un que votre voix n’enchante ?
S’en trouve-t-il une autre aussi touchante,
Une autre enfin allant si droit au cœur ?
………..
Vous auriez eu mon âme toute entière,
Si de mes vœux j’eusse plus présumé ;
Mais en aimant, qui ne veut être aimé ?
Par des transports n’espérant pas vous plaire,
Je me suis dit seulement votre ami,
De ceux qui sont amants plus qu’à demi :
Et plût au sort que j’eusse pu mieux faire !


Et la lettre charmante où il la charge de rappeler à Racine sa promesse de lui écrire et où il exprime avec tant de grâce sa tristesse d’être loin d’elle, à Château-Thierry !

Quand Racine eut dit adieu à l’actrice et au théâtre, La Fontaine resta fidèle au ménage Champmeslé, car il avait autant d’amitié pour le mari que de tendresse pour la femme. Quant aux successeurs de Racine, il s’en accommodait sans chagrin. De la campagne il écrivait à la comédienne :


Quant à vous, Mademoiselle, je n’ai pas besoin que l’on me mande ce que vous faites : je le vois d’ici. Vous plaisez depuis le matin jusqu’au soir, et accumulez cœurs sur cœurs. Tout sera bientôt au Roi de France et à Mlle de Champmeslé... Charmez-vous l’ennui, le malheur au jeu, toutes les autres disgrâces de M. de La Fare ? et M. de Tonnerre (c’était lui qui, selon une épigramme du temps, avait déraciné Racine) rapporte-t-il toujours au logis quelque petit gain ? Il ne sauroit plus en faire de grand après l’acquisition de vos bonnes grâces... Mandez-moi s’il n’a point entièrement oublié le plus fidèle de ses serviteurs, et si vous croyez qu’à son retour il continuera de m’honorer de ses niches et de ses brocards.


Et pas un mot pour M. de Champmeslé ! Pourtant ce tragédien « bel homme, l’air noble, extrêmement poli, » qui, sur la scène, jouait les rois et, au logis, bouffonnait et buvait sec, en usait cordialement avec le poète. Il lui demanda même sa collaboration. Il découpa le scénario d’une farce dans le Roman comique de Scarron : La Fontaine écrivit les vers, et ce fut Ragotin, comédie en cinq actes. Il mit ensuite sur la scène l’éternelle histoire du tuteur jaloux et dupé : La Fontaine habilla cette banalité d’une versification dont la verve fait songer à Regnard, et ce fut le Florentin, comédie en un acte. Enfin il