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chagrin de sa mésaventure, il y fit allusion jusque dans son discours de réception ; mais point de rancune, il en fut toujours incapable. Par la liberté de son humeur, la variété de ses goûts, son amour du vieux langage, sa fidélité à la tradition gauloise, il dut plus d’une fois scandaliser Boileau, à mesure que celui-ci affirmait avec plus de certitude les maximes de sa grande réforme ; mais rien ne prévalut contre les souvenirs de jeunesse : leur liaison se resserra encore, lorsqu’aux approches de la mort, La Fontaine se convertit.


IV. — LA FONTAINE ET RACINE

On ne sait au juste comment se noua l’amitié de La Fontaine et de Racine. On a découvert qu’ils étaient, par alliance, cousins éloignés, très éloignés, la famille de Mlle de La Fontaine, les Héricart, de La Ferté-Milon, étant apparentés aux Racine. D’autre part un Pintrel avait été parrain du père de Jean Racine, et les Pintrel étaient parents de Jean de La Fontaine. Enfin un Vitart fut procureur à Château-Thierry, et les Vitart étaient cousins de Racine. Bref, gens de Chaûry et gens de La Ferté étaient « pays, » et il n’est pas impossible que Jean de La Fontaine et Jean Racine se soient d’abord rencontrés chez les Héricart ou bien chez les Vitart.

Quoi qu’il en soit, le 11 novembre 1661, d’Uzès où il est allé à la recherche d’un bénéfice ecclésiastique, Racine écrit à son ami qu’il songe à lui, « autant qu’il le faisait, lorsqu’ils se voyaient tous les jours. » Il faut donc faire remonter leur liaison au temps où, sortant du collège d’Harcourt, Racine commençait à s’émanciper et à oublier les leçons de Port-Royal.

Les deux lettres, les seules que nous possédions, de Racine à La Fontaine nous font voir quelles relations s’étaient, dès lors, établies entre eux. La Fontaine est l’ainé de dix-huit ans ; mais, avec cet éternel enfant, les années ne comptent guère ; puis ils ont ensemble déjà tant déambulé, comme dit l’écolier limousin, par les compiles et les quadrivies de l’urbe ! Chez Racine, cependant, la familiarité se tempère de la déférence qu’un apprenti rimeur doit à un poète déjà honoré de la faveur d’un surintendant et du suffrage des beaux esprits. Lestement il lui conte son voyage, et lui dépeint sans discrétion la beauté des Languedociennes :